8 - Chine

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1946
Chine

  Vlada avait marché pendant des semaines, Lyubov sur son dos. Fin décembre 1945, il avait neigé sans discontinuer, et bientôt elle devait lever haut les jambes pour franchir l'épais manteau blanc qui lui arrivait aux genoux.

  - Nous ne pouvons plus... continuer... avait-elle soupiré, à bout de force.

  Cependant, elle apprit par un habitant du village qu'elles traversaient que la frontière avec la Chine était à moins de deux kilomètres. Alors elle continua, cherchant à tout prix à fuir ce pays chargé de mauvais souvenirs.
  Lorsqu'elle posa un pied en Chine, Vlada sentit un poids s'envoler de ses épaules. Elle pouvait enfin commencer une nouvelle vie en compagnie de sa fille. Elle commença par chercher une auberge pour s'abriter de la tempête de neige.
  Une femme obèse lui proposa une chambre pour 38 Yuan. Ne possédant que des pièces russes, Vlada proposa à son hôte de l'aider dans les tâches ménagères. Elles étaient coincées ici à cause de la neige pour au moins trois semaines, alors autant gagner un peu d'argent.

  - C'est notre nouvelle maison ? demanda naïvement Lyubov en ouvrant la porte de la petite chambre.

  Vlada lança un regard vers l'unique petit lit dont deux lattes étaient cassées, le sol à la propreté douteuse et nota l'absence de fenêtre. Elle alluma l'ampoule pendant au plafond.

  - Non, ma chérie. Je t'ai promis que tu aurais ta chambre rien qu'à toi, tu t'en souviens ?

  Lyubov hocha pensivement la tête et s'installa sur le matelas. Vlada posa la chaise sur laquelle elle transportait Lyubov et massa ses épaules endolories. Une larme roula sur sa joue, qu'elle gomma avec son avant-bras.

  - Je vais aller aider à cuisiner. Tu ne bouges pas d'ici, d'accord ?

  Ne recevant pas de réponse, Vlada s'accroupit près de sa fille, et la prit doucement dans ses bras.

  - D'accord ? recommença-t-elle.
  - Oui, maman.

  Alors Vlada sortit de la chambre. En descendant les escaliers pour rejoindre la cuisine, elle entendit tinter un objet contre sa cage thoracique, et plongea sa main sous son pull pour ressortir le collier de jade. Elle sourit et déposa un baiser sur la pierre.

  - Je m'appelle Bao, se présenta finalement l'hôte lorsque Vlada parut aux fourneaux. Je parle un peu le russe. Nous devrions nous débrouiller.
  - Vlada, répondit-elle. Qu'allons-nous préparer ?
 
  Bao afficha une mine surprise, et dit comme s'il s'agissait d'une évidence :

  - Un peu de viande séchée et du pain. Les réserves de légumes sont épuisées depuis longtemps. L'hiver est trop vigoureux ici.

  Vlada fit signe qu'elle comprenait et commença à découper des lamelles de viande.

  - Pourquoi êtes-vous seule ? interrogea Bao après une dizaine de minutes de silence.

  Interrompue dans les flots de ses pensées, Vlada sursauta et s'entailla l'index. Bao le lui banda et croisa les bras, attendant une réponse.

  - Je pars de l'U.R.S.S.. Notre maison a été détruite par des bombardements.
  - Sans votre mari ?
  - Mon mari... Il est mort à la guerre.

  Bao opina du chef, une expression de fierté sur les traits, comme si le fait que l'homme que Vlada aimait se soit sacrifié pour son pays était une bonne chose.
  Vlada entrouvrit les lèvres pour répliquer mais se ravisa. Si elle ne voulait pas se retrouver dehors avec Lyubov, elle devait se faire accepter ici.

  Après avoir mangé, Lyubov et sa mère s'endormirent blotties l'une contre l'autre pour se réchauffer. Lyubov se réveilla tôt le lendemain, et s'empara d'un morceau de roche tombé du mur. Elle dessina sur le sol de la chambre, sans un bruit.
  Lorsque Vlada ouvrit les yeux, elle aperçut Lyubov à l'œuvre et lui demanda pourquoi elle faisait cela.

  - Je dessine papa.

  Vlada sentit son cœur rater un battement. Elle se leva du lit et s'approcha de sa fille.

  - Lyubov, arrête.
  - Mais regarde comme il lui ressemble !
  - Lyubov ! Tu ne l'as jamais vu ! Arrête.

  L'enfant obéit et posa sa craie de fortune. Elle leva les yeux vers Vlada et rétorqua :

  - Alors je le dessine comme je l'imagine.
  - Lyubov... va demander un seau à Bao, d'accord ? Je vais te laver un peu.

  Vlada attendit que Lyubov quitte la pièce pour laisser libre cours à son émotion. Bientôt, ses larmes avaient effacé le visage qui ne ressemblait en rien à son mari, mais dont la symbolique était si puissante.



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