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— Maman, maman ! Tu m'aides pour mon poème ?

Je délaissai le verre que je tenais et jetai un regard par dessus mon épaule. Laurie, ma première fille, sautillait derrière moi, agitant son livre entre ses petites mains. Je lui offris un sourire et lui demandai de m'attendre dans le salon, le temps que je finisse la vaisselle. Elle repartit aussi vite qu'elle arriva dans un grand bruit, bousculant son petit frère sur son chemin.

— Tu veux quelque chose Noah ?

— Câlin, répondit-il en tendant les bras.

Attendrie par sa petite bouille, je saisis un torchon pour m'essuyer les mains. Je pris ensuite Noah dans mes bras et me dirigeai vers le salon. Laurie sautait sur le canapé en lisant son poème à voix basse.

— Calme-toi cocotte, dis-je en m'asseyant, mon fils dans les bras. Donne-moi ton livre, on va voir si tu connais ton poème.

— Oui, chef ! Bien reçu, chef !

Elle descendit et se tint bien droite devant nous, la mine sérieuse.

— Je peux commencer ?

Je hochai la tête. Elle prit une grande inspiration.

— La cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsis...

Le violent claquement de la porte d'entrée nous fit sursauter. Laurie posa sur moi des yeux interrogateurs quand plusieurs bruits nous parvinrent ensuite, suivis de près par un juron monumental. Je regardai l'horloge murale : 22h17.

— On continuera demain, dis-je en me levant.

— Mais maman ! tenta-t-elle de protester.

— Ne discute pas. Il est l'heure d'aller au lit.

Je la pris par la main et elle me suivit docilement jusqu'à sa chambre. Je lui ordonnai de se mettre au lit. Je couchai rapidement son frère qui s'était endormi et repartis dans la chambre des filles. Laurie était toujours debout au milieu de la pièce.

Je la fixai tranquillement et soupirai. Je sentais déjà que j'avais envie d'exploser. La pression était montée en flèche dans mon crâne, je redoutais l'état dans lequel je trouverais mon mari.

— Il faut dormir princesse.

— Mais mon poème ?

— Tu le connais bien ton poème, dis-je en m'agenouillant à sa hauteur. Demain matin, je te le ferai réciter, sans faute.

— Tu dis toujours ça. Les parents des autres enfants leur font réciter leur poème tous les soirs.

— Demain matin avant l'école, promis.

— Promis de promis ?

— Oui. Maintenant, au lit.

Elle se glissa rapidement sous sa couette et me demanda un bisou. Je le lui offris à dix reprises et elle rigola.

— Bonne nuit, maman.

— Fais de doux rêves, mon cœur.

Je vérifiai que sa petite sœur dormait toujours calmement dans son berceau et allumai la veilleuse avant de sortir.

En fermant la porte de leur chambre, j'expirai fortement. Une subite envie de pleurer me prit mais je me retins de justesse en mordillant ma lèvre.

Mes jambes s'activèrent toutes seules, guidées par je ne sais quoi. L'habitude, sûrement. J'arrivai dans le salon. Personne. Le calme complet. Mais un gémissement m'attira au vestibule de l'entrée. La pièce étant plongée dans le noir, je ne voyais qu'une grande masse sombre gesticuler près du portemanteau. Une fois qu'elle fut inondée de lumière, je vis mon mari. Tom se débattait pour enlever sa veste en lâchant un tas de grossièretés, comme souvent lorsqu'il rentrait ivre.

FEMMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant