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Deux semaines passèrent après ma rencontre avec Téo. Deux semaines durant lesquelles je n'eus aucune nouvelle de lui et aucun grabuge de la part de Tom. Il était d'ailleurs redevenu normal, enfin presque. Ses vacances semblaient lui faire le plus grand bien. Mais sa nouvelle amie, la bouteille, ne le quittait malheureusement plus et l'accompagnait dès que les enfants allaient se coucher. Comme ce soir.

Occupée à ranger les assiettes et autres gobelets, vestiges de l'anniversaire de mon fils, je repensais à ce qu'il m'avait dit quand je suis rentrée paniquée il y a deux semaines : « Nous en discuterons. ». Il s'était chargé de prendre les enfants, car ne voyant personne venir les récupérer plus d'une heure après la fin des cours, l'école l'a contacté. Ses yeux me lançaient des éclairs, sa voix me fustigeait, je n'avais rien répondu et m'étais ruée vers la cuisine pour faire à manger, la peur au ventre. Je m'étais toujours promis de ne jamais avoir aucun écart dans ma vie de mère et d'épouse, cela me suffit pour m'enlever l'envie de recommencer.

Tous les soirs depuis deux semaines, Tom prenait place devant le sport, une bouteille de bourbon à la main. Parfois, il s'endormait devant la télé, ou il réussissait à se traîner dans les escaliers et à se jeter au-dessus de la couverture. Ce soir, il ne changeait pas ses habitudes. Mais il avait une cannette de bière à ses pieds, cela prendrait plus de temps avant qu'il ne soit complètement saoul. Pas que je souhaitais que cela arrive, mais si nous évitions par ce fait une dispute, c'était un avantage.

Complètement perdue dans mes pensées, je ne le vis pas entrer dans la cuisine. Ce sont ses mains sur ma taille qui me tirèrent de ma réflexion. Il se colla à moi, entourant mon corps de ses bras, je n'avais ainsi aucune façon de m'échapper.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Ses lèvres parcouraient mon cou, y semant une pelletée de baisers froids et humides. Mon corps réagit immédiatement, programmé pour ça. Un frisson me parcourut le dos et me poussa à me cambrer, tout était involontaire. Mon geste lui offrit un meilleur accès à mon cou et à mes épaules à peine recouvertes par les bretelles de ma robe. Ce n'était pas ce que je voulais. Ça ne l'était plus. Mais les souvenirs encore trop frais d'un amour puissant me hantaient l'esprit, car j'en étais sûre : Il ne m'aimait plus. Néanmoins je me laissai aller. Je m'abandonnai entre les bras de cet inconnu et profitai de l'instant. Jusqu'à ce que je ne sente plus l'emprise de ses bras autour de moi, la chaleur de son corps contre le mien, ni la froideur de ses lèvres sur ma peau.

— Tom...

Son prénom n'était plus qu'un murmure entre mes lèvres. J'étais tellement secouée que je fus obligée de m'appuyer à la table pour ne pas m'écrouler. Je ne compris pas pourquoi, mais j'étais vidée de toute énergie, fatiguée.

Un regard par dessus mon épaule m'apprit qu'il venait d'entamer une bouteille de whisky, s'abreuvant de la liqueur ambrée au goulot. C'est avec effroi que je le vis me lancer un regard lubrique qui ne lui ressemblait guère.

Ben voyons !

Je vivais avec cet étranger depuis presque un an, absolument rien de ce qu'il était ne me rappelait mon mari.

— Pauvre petite chose...

Mon cœur s'emballa brusquement. J'en étais persuadée, ce n'était plus Tom que j'avais en face de moi.

— Depuis combien de temps tu attends que je te touche ?

— Arrête ça, l'implorai-je, humiliée.

— Voyons, Jess. Ma douce Jess...

Il s'approcha de moi, j'étais toujours accrochée à la table, je sentais que si je la lâchais, je m'effondrerais. Il me tourna totalement vers lui puis plaqua une de ses mains contre ma joue.

— Depuis combien de temps ne t'es-tu pas faite si belle ? Ce parfum... Tu ne le mets plus depuis longtemps. Et tes cheveux... Tu les as coupés ?

— O-oui.

— Tu sais que je déteste ça, n'est-ce pas ?

— P-pardonne-moi.

— Tu es devenue particulièrement étrange, non ?

Je resserrai ma prise sur la seule chose que j'avais entre les mains, une éponge. Il ricana, il flairait ma tension. Je ne pouvais pas lui cacher la vérité, il me connaissait trop. Comme s'il m'avait faite.

— Oui, tu es étrange, ma belle. Quand je t'ai vue dans cette robe ce matin, nos premières années de mariage me sont revenues en mémoire... tu t'en souviens ou tu m'as trahi jusque là ?

— J-je ne t'ai pas trahi.

— Foutaise !

Il tira sur mes cheveux, ramenant ma tête vers l'arrière. Je poussai une plainte à peine étouffée par le baiser qu'il m'arracha. Je ne savais même pas s'il m'embrassait ou s'il me punissait, j'avais mal et je n'en tirais aucun plaisir.

— Y a deux semaines, t'étais où ? Quand t'es pas allée prendre les mômes, t'étais où, hein ?

Il m'agrippa par la taille et me forca à le regarder dans les yeux. Je les déportai sur autre chose, je finis par baisser les paupières et gémis quand il tira plus fort sur mes cheveux.

— N'essaie pas de me mentir ! Ta secrétaire m'a dit que t'étais plus au boulot depuis trois heures au moins. Et tu n'as pas répondu à mes appels.

Je ne me rendis même pas compte que je pleurais. Il m'attrapa violemment par la main et me conduisit au salon. Il me jeta dans le canapé et ma première réaction fut de placer mes bras sur mon visage pour me protéger, redoutant qu'il me frappe. Un flot d'images de souvenirs douloureux m'assaillit l'esprit. La douleur, les punitions, les insultes, mes pleurs... Tout n'était plus que confusion dans ma tête. Je ne savais plus pour quelle raison je pleurais. Était-ce à cause de lui ? Ou était-ce parce que je revivais mes cauchemars ?

— Tu sais pourquoi je ne te touche plus Jess ? Parce que je ne supporte plus ton visage ! Je n'arrive plus à te regarder, je ne vois plus ce pour quoi je te courrais après comme un fou il y'a dix ans !

Ses mots finirent de m'achever. Ils étaient bien trop humiliants et amers pour que j'accepte qu'ils venaient de mon mari.

— L'alcool ça aide parfois. J'te vois et pouf ! Le désir revient. Mais il y'a des fois où j'ai juste envie de te cracher à la figure. J'ai passé les plus belles années de ma vie à te courir après, toi, l'insaisissable ! Et maintenant que je t'ai sortie de ton trou, le premier connard qui arrive peut te choper ?!

— Arrête ! hurlai-je, n'en pouvant plus de ses paroles abjectes. Arrête ! Arrête ! Arrête ! Arrête ! »

Je répétai encore et encore la même chose, les mains contre les oreilles, en position fœtale au fond de mon canapé. Je ne savais pas combien de temps je restai ainsi, à lui hurler d'arrêter de me détruire, à implorer son pardon, à le supplier de me laisser. Pitoyable, je l'étais, c'était un fait et rien, même le plus grand amour, ne pouvait le changer. Je me détestais, je le détestais, mais surtout, je me détestais. Pour l'avoir aimé, pour l'avoir écouté, pour m'être affaiblie, pour l'avoir déçu. J'avais échoué. J'avais brillamment échoué.

Je sentis deux mains m'attraper les mains, elles étaient bien trop douces et chaudes pour qu'il s'agisse de celles de Tom. J'ouvris les yeux, relevai la tête et découvris Laurie, le visage inondé de larmes.

— Maman... Je veux pas que tu pleures.

Je la pris dans mes bras, pleurant de plus belle. Cette scène me rappela tristement ma propre histoire, lorsque je me glissais dans le lit de mes parents quand j'entendais ma mère pleurer. Il m'était tout bonnement inconcevable que mes enfants vivent la même chose que moi. Je ne l'accepterai jamais. Alors je la serrai contre moi pour essayer de la rassurer. Non, il n'en était pas question. Je ne me demandais pas où pouvait être passé Tom, je m'en fichais éperdument.

— Ça va aller, ma princesse. Ne pleure pas.

— J'ai peur, maman.

— Ça va aller, ça va aller.

J'eus à peine l'impression que je le disais pour elle. J'étais persuadée que je le disais pour moi, mais je me croyais à peine.

— Oui, ça va aller...

FEMMEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant