Chapitre 1: Rencontre

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Le guide fourni par sa marraine était exact, Amalia se trouvait bien à l’entrée de l’antique Muhammad Rajah Muséum, le plus grand centre d’histoire naturelle de la ville de Rajah.     
Une émotion toute particulière s’empara de la jeune femme.                
Ce muséum contenait aussi un pan de son histoire à elle. Ses parents s’étaient rencontrés là des années auparavant. Son père était alors collectionneur de pièces antiques et sa mère, archéologue.  Repenser à elle raviva de nouveau ce grand vide qui l’habitait depuis l’annonce de la triste nouvelle.        
Elle restaurait d’anciennes poteries aztèques au Venezuela quand une rupture d’anévrisme avait emporté son dernier parent. Le choc avait été plus terrible encore du fait qu’elle ne l’ait appris que deux jours plus tard, quand elle avait réussi à trouver un téléphone satellitaire dans cette zone perdue d’Amérique du Sud.  
Dire qu’elle voulait lui annoncer qu’elle avait réussi à restaurer des œuvres extrêmement rares pour le British Muséum… Repoussant un de ces longs soupirs qui l’habitaient désormais, Amalia se décida à entrer. Il faisait une chaleur extrême dehors et à son grand désarroi, son débardeur de coton ne faisait pas l’affaire du tout. Heureusement, elle avait noué un châle pour se protéger le visage et les yeux des rayons du soleil.               
Le contraste fut saisissant dès qu’elle entra.                   
Tous les bruits de la ville dehors disparurent comme par enchantement et l’air conditionné lui donna l’impression d’évoluer sous un climat tempéré. Un escalier en colimaçon invitait à se rendre à l’étage pour commencer la visite.                   
Peu désireuse de rompre le charme de sa quête, Amalia préféra se diriger vers l’une des hôtesses d’accueil. Elle souhaitait avant tout découvrir le lieu où s’étaient rencontrés ses parents, la salle d’exposition des vases de prières de la vieille cité d’Alamout.  C’était puéril et complètement idéaliste comme quête; mais pour elle qui avait passé son adolescence à fuir ses parents et son âge adulte à voyager, le besoin de se sentir proche d’eux était presque vital. Sans quoi, elle n’aurait probablement pas fait ce voyage incongru dans un petit émirat du golfe arabo-persique qu’elle ne connaissait que de nom jusque-là.                           
Encore heureux qu’elle y soit née et que sa mère ait gardé contact avec sa marraine.         

Quand elle s’adressa à l’une des hôtesses, elle remercia intérieurement sa mère de lui avoir appris l’arabe, sans quoi elle aurait tout de suite été cataloguée au rang de touriste. Et Dieu sait qu’elle détestait cette confusion. Mais difficile de se fondre dans un paysage étranger avec cette chevelure rousse flamboyante et ces yeux turquois qu’elle tenait de son père. De sa mère, elle avait hérité du teint hâlé et du caractère bien trempé. L’hôtesse lui indiqua la direction à suivre et elle monta directement au deuxième étage où se trouvait la salle tant recherchée.

Pourtant, le charme fut rompu dès qu’elle y entra. La pièce était dépourvue de cet air chargé d’histoire auquel elle s’attendait.             
Elle était trop moderne, trop apprêtée, trop surfaite.     
Des tableaux aux couleurs trop vives attiraient plus l’attention que les vases anciens et les objets hétéroclites qui devraient être l’attraction du lieu. Comme si on avait volontairement voulu rompre le mystère de l’endroit.          
Amalia secoua la tête et se morigéna intérieurement – comme chaque fois que son esprit trop vif voulait lui gâcher une surprise. 
Alahouyid était certes le pays de sa mère mais elle y était étrangère. Mieux valait ne pas s’attirer des regards curieux. Elle ouvrit sa besace et en ressortit le carnet qu’elle avait trouvé dans les effets personnelles de sa mère. Sadiyah Mahmoud avait précieusement conservé les listes des œuvres qu’elle et son mari avaient restitué au Rajah Muséum pendant plus de vingt-huit ans. Et comme un pirate à la recherche du trésor, Amalia entendait bien voir et admirer chaque pièce que ses parents, avant elle, avaient touché. Elle avait d’ailleurs en sa possession, une copie certifiée de l’acte signé par l’émir Farwal Mujarat – un document stipulant qu’aucune pièce de cette salle ne serait échangée, vendue ou déplacée en raison de la délicatesse des matières. Ses parents l’avait reçu comme reconnaissance de toute la nation alahouite, Nelson en tant que donateur et Sadiyah en tant que restauratrice des pièces. Amalia disposait aussi d’une carte de restauratrice d’œuvre ancienne au British Muséum qui lui permettait d’avoir accès aux musées les plus prestigieux du monde.  Convaincue de la légitimité de sa présence en ces lieux, elle se saisit également de son crayon et commença à faire le tour de la pièce. Elle voulait voir les pièces tel qu’indiqué sur la liste. Son inconscient lui souffla que tout ne serait probablement pas comme elle s’y attendait après toutes ces années.                       
Mais cela lui importait peu. 
Elle avait perdu son père à quatorze ans, dans un accident de la route. Elle ne lui parlait alors pas pour quelque chose dont elle n’avait plus souvenir.                       
Aujourd’hui, avec le recul, tout souvenir rattaché à lui était bon à prendre.  
Elle débuta son exploration par les petits pots destinés aux encens, à la myrrhe et aux essences parfumées utilisées lors des rites funéraires dans l’ancien royaume perse. Ils étaient tous là, chacun à sa place, comme indiqué dans le calepin de Sadiyah. Un sentiment de plénitude envahit le cœur d’Amalia. Après les vases minuscules destinées aux essences, elle se dirigea vers l’étagère des moyens et des plus grands et constata tout de suite que quelque chose n’allait pas. La plénitude fit alors place à une sensation tellement désagréable qu’elle voulut reposer le vase qu’elle tenait et repartir. Mais sa conscience professionnelle et l’impression qu’on avait saboté les efforts de ses parents la retinrent.                    
Elle refusa cependant que son idéalisme ne fasse d’elle la proie de théories fantaisistes. Rien de mieux qu’une bonne observation pour infirmer ses intuitions. Elle retourna aux premiers vases pour entreprendre un examen minutieux.     
C’était l’après-midi, en plein mois de février. Les touristes ne se bousculaient pas dans cette partie du monde soumises à des chaleurs extrêmes en cette période de l’année. L’occasion était parfaite pour pouvoir jauger à loisir ces pièces de collection. Quand elle finit, elle débuta l’inspection des pièces moyennes. Le résultat fût sans équivoque, même si la contrefaçon était presque parfaite.  
Mais dans quel but exposer des pièces fausses?              Ce n’était probablement pas par mesure de sécurité, des caméras surveillaient le moindre geste dans ce musée. Elle n’eût pas plus le temps de se poser plus de questions. Un homme en costume cravate, probablement le directeur du musée fit irruption dans la salle. Il était suivi de deux vigiles et aucun d’eux n’avaient l’air avenant.    
   
- Vous n’avez rien à faire ici mademoiselle, cet endroit est en rénovation donc interdit au public. Veuillez nous suivre dehors; déclara l’homme dans un anglais parfait.     
Amalia se retint de dire que l’hôtesse l’avait laissé monter, la jeune fille pourrait sans doute se retrouver au chômage avant la fin de la journée. Elle déclara donc de but en blanc, dans un arabe parfait en désignant les pièces concernées. 

- Ce sont des fausses. Ces objets ne sont pas les vases authentiques de la collection des vases sacrées du royaume d’Alamout.   
        
Si elle croyait attiser la curiosité et faire bonne impression en s’exprimant dans la langue locale, elle déchanta assez vite. L’homme en face d’elle blêmit un instant avant de faire signe aux gardes de la faire sortir. Ils ne se firent pas prier et la traînèrent dehors manu militari.
- Lâchez-moi espèce de brutes ! Mais qu’est ce qui ne va pas chez vous, ces vases sont des faux ! Et je peux vous prouver ce que je dis!

- Gardez vos délires mademoiselle, nous sommes une institution sérieuse et nous n’avons que faire de vos analyses déplacées!

- Vous ne savez pas qui je suis, attendez que je vous explique la situation ! Mais laissez-moi bon sang, je ne suis quand même pas venue vous cambrioler!                     
Les deux gardes la lâchèrent au même moment et elle tomba lourdement sur les pavés, laissant échapper un cri de douleur.   

- Mais qu’est ce qui ne va pas chez vous? Hurla-t-elle en anglais. Bon sang! C’est interdit de dire la vérité dans ce pays?! 

-Allez raconter vos âneries ailleurs ma petite dame ; vociféra le directeur en avançant dangereusement vers elle. Nous sommes loin de l'Occident ici. Et n’oubliez pas ceci, c’est à vous!   

- Non, ne faites pas ça! Cria Amalia. 

L’air mauvais, il lança le calepin qui était tombé dans la salle, en travers du chemin. Comme les passants esquivaient tous le lieu où ils se trouvaient à cause des éclats de voix, le carnet termina son envol sur le pare-brise d’une berline qui pila net. Amalia eût juste le temps de voir l’homme blêmir encore plus mais ne s’attarda pas à le considérer. Elle s’élança sur la route. Ce carnet était un souvenir de sa mère, elle ne laisserait personne le détruire. Encore moins une voiture rouler dessus.      
Mais avant qu’elle n’y parvienne, un autre homme plus grand et plus costaud avait déjà soulevé le carnet et lui tendait la main pour se relever.  Méfiante, elle hésita et garda sa place au sol.    
Les droits des femmes dans cette partie du monde étaient très souvent ignorés. Aussi si elle devait recevoir des coups ou quoi que ce soit d’autre, elle préférait ne pas passer pour le dindon de la farce et garder un semblant de dignité jusqu’au bout.      
Comme elle maintenait sa position au sol, elle vit l’homme hocher de la tête et lui rendre son carnet.
     
« - Je vous en prie mademoiselle, relevez-vous! » 

      Le timbre suave et posée de la voix qui résonna derrière Amalia fut comme une bouffée d’air frais en plein désert et la décida à se retourner.  Si elle n’était pas déjà par terre, elle serait tombée à la renverse face à la beauté insolente de son interlocuteur. Comme une automate, elle ne se rendit même pas compte qu’elle levait la main et qu’il l’aidait à se remettre sur ses jambes. Elle voulait juste toucher voir s’il était réel.    
  
- Êtes-vous blessée? S’enquit le bel inconnu.
                  
Elle secoua la tête, reprenant ses esprits.

- Tant mieux! A présent, lequel de vous deux m’explique ce qui se passe ici?

Le Secret Du PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant