Humilité

11 3 0
                                    

« Il fallut que chacun ait sa place dans ce paradis terrestre que Dieu avait créé ; aussi les Epées de la Purification organisèrent la Cité en églises. Ces églises servaient à maintenir la cohésion, l'harmonie, le sentiment d'appartenance de chacun ; personne ne devait se sentir à part, tous devaient participer au bien commun de la Nouvelle Babylone.

Les plus sages, ceux qui détenaient la Connaissance, furent désignés comme les dirigeants incontestés de la ville. Les plus érudits furent quant à eux attitrés à l'enseignement général et la gestion. Les personnes douées de leurs mains ou de leur cœur, eurent le loisir de choisir leur église de prédilection parmi l'agriculture, le droit et la mécanique. Enfin, ceux dont personne ne voulait, ceux qui rampaient plus bas que terre, les moins vertueux ; ceux-là furent désignés à l'église de l'humilité. Les vers les plus grouillants, les immondices les plus repoussantes, il fallait que nous en soyons débarrassés pour que notre cité prospère : car c'est ainsi que se déroulait l'ordre naturel des choses. »

Antonin II, grand Prêcheur de l'église du Savoir. 

~~~~~~~~~~~~~~~~

Ce fut Gabriel qui les mena au bureau, aidé par Saul. La jeune fille était déçue qu'ils ne leur aient pas laissé le loisir de se débarbouiller, ni de manger. Son estomac encore retourné de la veille criait famine, et sa robe de nonne sentait horriblement mauvais.

Ils traversèrent les couloirs austères du cloître, jusqu'à parvenir devant une lourde porte en bois massif, sur laquelle Saul toqua trois fois. Sage lança un regard inquiet à Myr qui lui répondit avec un clin d'œil. Elle n'avait encore aucune idée de ce qu'elle allait bien pouvoir inventer pour se sortir de là. Mais elle connaissait assez le Prêcheur pour savoir par où commencer...

La porte s'ouvrit et c'est le visage maussade et fatigué que le vieil homme leur ordonna de rentrer.

Le bureau était un cagibi minuscule, identique à toutes les cellules des moines du cloître, mais le mobilier était de toute évidence de meilleure qualité. Elle disposait même d'une magnifique cathèdre où siégeait le Prêcheur, le regard posé sur les deux adolescents.

« Encore et toujours vous deux. » grommela-t-il dans sa barbe grise et épaisse qui lui mangeait le visage. Ses doigts tremblants se crispèrent sur les accoudoirs de son siège, et les deux moines s'en allèrent en fermant la porte derrière eux.

« Grand Prêcheur, nous pouvons tout expliquer... » commença Sage, un semblant de sourire aux lèvres pour apaiser la situation mais le vieillard se redressa d'un bond :

« M'expliquer ? Vraiment Sage, tu crois que les explications te permettront d'effacer votre comportement d'hier soir ? Oh toi mon garçon, tu me semblais bien parti mais finalement tu n'es que le roi des crétins. »

Myr se mordit les lèvres pour couvrir son pouffement mais le bougre de Prêcheur était loin d'être sourd, même pour son âge avancé.

« Une "explication" à nous faire partager Myr, peut-être ? » lança-t-il, ironique.

Des explications il y en avait oui. Des centaines. Certaines plus avouables que d'autres sans doute, mais répondre aux questions du Prêcheur quand il était aussi énervé ne résolvait rien, la jeune fille l'avait appris à ses dépens. Elle humecta ses lèvres désséchées, et attendit que le Prêcheur se calme pour s'avancer.

« Père, nous sommes désolés pour ce qui est arrivé... »

« Epargne-moi tes fausses paroles Myr. » coupa-t-il d'un geste agacé, « je te connais depuis bien trop longtemps pour ne pas savoir que chacune des tes paroles sont des serpents venimeux enrobés de miel. »

Nouvelle BabyloneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant