Avancée

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"La curiosité mène à des découvertes insoupçonées, des trésors, des philosophies millénaires

Mais elle mène également à la perte de chacun.

Comment savoir où la curiosité se transforme en intérêt déplacé ?

Tant qu'on ne franchit pas soi-même les limites, la question se pose encore et toujours."

Note déchirée des archives de la Tour. 2020 A-A

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Ebahie, la jeune blonde lâcha un hoquet de stupeur qui lui valut un regard de réprimande de la part de Gabriel. Puis une fois la surprise passée, elle reprit un masque impassible tandis qu'ils finissaient leur repas, sans même prêter attention aux autres.

Malgré les réprimandes des veilleurs, les enfants et adolescents du cloître finissaient toujours par bavarder joyeusement à côté d'eux. Ces dernières années, de moins en moins d'enfants parvenaient au cloître. Impossible de savoir si c'était dû à la population décroissante ou l'attrait diminué pour l'Eglise du Savoir, mais seul deux enfants avaient été admis cette nouvelle année. Myr s'arracha de la contemplation de la salle pour croiser le regard inquiet de sa tendre amie. Les yeux légèrement enfoncés dans leur orbite, d'un vert clair saisissant, lui renvoyaient sa propre peur en plein visage. La vérité était qu'elle n'avait pas de réel plan sous la dent. Et surtout, elle redoutait que le secret de la pièce ne renferme rien qui justifie le reste de sa vie à récurer les égouts de la Nouvelle Babylone. Mais il était trop tard pour revenir sur sa parole.

« J'ai peut-être surévalué ma capacité à me sortir de ce pétrin, je l'admets... » avoua-t-elle à voix basse.

La jeune fille pinça ses lèvres, mais des grincements parvinrent à ses oreilles. Des sons qu'elle aurait reconnu entre mille.

« Ils sont en train d'ouvrir la salle. » hoqueta-t-elle.

Les voix hurlaient à nouveau, pour presque couvrir celle de ses amis. Une craie sur un tableau n'aurait pas pu produire de sons plus discordants. Elle avait l'impression de plonger dans un puits de noirceur sans fin.

« La salle interdite ? » murmura Félicité, sous le choc.

Myr inspira bruyamment pour porter ses mains à ses oreilles. La chaleur de son corps devenait insupportable et elle transpirait sous le stress intense. Elle avait oublié la sensation. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas ressenti les hurlements avec autant de précision et de force. Une main serra son épaule et elle sursauta. Sage fronçait les sourcils, mal à l'aise, sa prothèse métallique labourant le vernis usé de la table. Il avait horreur de ce sujet, et Myr aurait juré que lui aussi avait senti quelque chose, un souffle sépulcral, provenant d'une réalité qui leur était inconnue. Puis le bruit cessa aussi vite qu'il était apparu.

« J'irai demain. » souffla la jeune fille.

Sage roula des yeux et lâcha son épaule pour croiser ses mains sous son menton. Saul passa derrière eux pour proposer du rab de gruau, que Myr refusa pour la première fois. Félicité gratta le fond de son bol avec la cuillère, pensive.

« Tu as déjà mon avis sur la question... » balbutia sans motivation la jeune blonde.

L'angoisse lui faisait toujours reprendre des sortes de bégaiements, tout droit issus de son enfance et de ses dents irrégulières, qui lui coupaient sa langue et sa confiance en elle. Mais sa meilleure amie n'en tint pas rigueur. Hors de question d'entraîner dans son plan une des élèves modèles du cloître. Quand bien même ça n'aurait pas été la première fois...

Une cloche sonna pour annoncer la fin du repas. Les bancs raclèrent le granit ancien du cloître et les préposés au rangement se mirent au travail. Myr et Sage avaient raté les annonces de leurs tâches pour l'après-midi, mais ils furent sans surprise relégués au récurage des latrines communes et au nettoyage des dortoirs. Félicité quant à elle, avait depuis un certain temps le privilège de copier les ouvrages les plus précieux de la bibliothèque. Elle rougissait de fierté à chaque fois que le grand Prêtre lui faisait des compliments sur ses travaux. Et il avait bien évidemment essayé un nombre incalculable de fois d'éloigner son élève favorite des deux trouble-fêtes qui ruinaient la réputation de son établissement. La jeune fille se pencha vers ses amis, un air conspirationniste sur le visage :

Nouvelle BabyloneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant