Les trois jours suivants furent longs pour Rachel et Pi-ou. Ils passèrent leurs journées à se balader dans le village et dans la forêt, sans but précis. Le soleil était au rendez-vous, comme tous les étés, et Rachel prenait le bus de temps en temps, quelques fois le matin, quelques fois le soir, quand l'envie lui prenait. Elle ne fit aucune rencontre spéciale. Cela l'attristait, mais lui faisait plaisir en même temps. D'un côté, faire une rencontre pour pimenter ces trois jours sans les jumeaux n'aurait pas été de refus. De l'autre, elle ne voulait pas rompre la douce quiétude qui abritait le petit groupe. Ils s'entendaient si bien qu'elle ne voulait pas gâcher cela en recontrant quelqu'un d'autre. Alors les journées passaient doucement, tout doucement. Heureusement, son fidèle chat Pi-ou lui tenait compagnie et était très joueur. Il réclamait tout le temps des câlins pour mieux s'amuser avec sa main. Celle de Rachel se trouva pleine de petites griffures, mais elle ne s'en préoccupait guère.
Elle fut très heureuse le matin du quatrième jour après le départ des jumeaux : ils étaient rentrés et devaient se voir ce soir, avec leurs parents, autour d'un dîner concocté par la mère de Rachel. Alors que la fille était dans tous ses états, la mère était détendue au plus haut point. Elle lisait tranquillement le journal, lovée contre son mari, et tentait de résonner sa fille :
"Rachel, calme toi un peu enfin, ça ne fait que trois jours que Martha et Ambroise sont partis. Et arrête de tourner en rond ici, tu creuse le tapis.
- Je ne sais pas quoi faire en les attendants ! Cette journée est la plus longue de ma vie.
- Comme hier, et avant-hier, et avant-avant-hier.
- Ce n'est pas pareil ! Là, ils ne sont vraiment pas loin, et je ne peux les voir que ce soir !
- Tu vas alors devoir attendre. Et si tu cuisinait avec moi, tout à l'heure, pour faire passer le temps ?
- D'accord. Tu m'appelleras, je serai dans ma chambre."
Sa mère acquiesca doucement tandis que son mari souria du comportement impatient de sa fille.Rachel, dans sa chambre, réussi enfin à se poser. Elle mit de la musique, prit son chat avec elle, et rangea quelques affaires. Des anciens cahiers de cours, à la poubelle, des feutres neufs dans une nouvelle boîte, les vêtements sales dans la machine à laver, et ainsi de suite. Ce n'est que quand elle eut finit de faire son lit que sa mère l'appella afin de préparer le dîner.
"N'oublies pas de t'attacher les cheveux. Je sais que tu ne le fais jamais, mais là, nous avons des invités susceptibles de devenir de futurs amis. Je ne veux aucun cheveu sur la soupe.
- Attaches-les moi, s'il te plaît.
- Ma fille est une vraie princesse..."Rachel s'assit délicatement sur le bord d'un fauteuil tandis que sa mère passa derrière elle. Elle carressa les mèches blondes de sa fille, doucement, puis les releva petit à petit sur le sommet de son crâne. De la soie entre les mains, des gestes attendrissants, un moment de complicité entre mère et fille ; puis quelques instants plus tard, tout était fini. Les cheveux de Rachel attachés en un beau chignon lâche, la boucle de son tablier faite, les mains lavées et elle était prête à cuisiner. Ce n'est pas comme si elle n'avait pas l'habitude de le faire, au contraire, elle adorait ça, mais jamais elle ne l'avait fait aussi sérieusement.
Sa mère alluma la radio, et règla la station sur quelque chose de musical. Elle se dandina tranquillement, au même rythme que sa fille, et sortit de nombreux aliments qu'elle étala sur leur grand plan de travail. Les couverts, les casseroles et les planches à bois s'entrechoquaient, le bruit de la coupe des aliments et le fredonnement de la mère et de la fille résonnait dans toute la maison. De la joie, des saveurs, de la musique, des odeurs et des rires se dégageaient de la cuisine.
C'est dans ce genre de moment qu'on ne prend plus garde à ce qui pourra nous arriver dans le futur, à ce qui nous est advenu dans la passé, mais seulement à ce qui se passe à cet instant, lorsque qu'une joie simple mais si douce nous enveloppe dans un cocon duquel on ne voudrait jamais sortir. Deux coeurs battants à l'unisson, des rires mélodieux lancés en même temps, un amour fort qui se partage, un lien si puissant qui se renforce encore plus, car, et c'est ce que pensa Rachel, c'est là que l'on vit réellement, c'est là qu'on ne subit plus quelque chose, mais qu'on profite.
La musique se coupa en même temps que la sonnerie du four résonna. Le père de Rachel se précipita pour l'éteindre, car les deux femmes qu'il aimait le plus étaient parties siroter un petit jus de fruits dans le jardin. Il avait été assigné à cette simple tâche, et se devait de la réussir, malgré sa petite maladresse. Les boutons tous sur le zéro, et mission accomplie ; il alla alors prévenir mère et fille.
"Oh, merci papa. On va se charger du reste. Nous n'avons plus qu'à démouler le dessert et ça sera bon, n'est-ce-pas ?
- Tout à fait. Et ça sera déjà l'heure pour tes amis d'arriver, alors on pourra aller se changer."
La jeune fille hocha la tête et prit le chemin de la cuisine. Elle rengea tout le plan de travail, lava quelques ustensiles, puis monta se changer dans sa chambre.Rachel enfila une petite robe qu'elle dégota dans l'armoire de sa mère. Elle lui tombait sur les genoux en frou-frou blancs et bleus, et les bretelles se croisaient dans son dos. Ce n'était pas dans ses habitudes de porter ce genre de robe, aussi habillée, mais c'était une chose qu'elle appréciait de plus en plus.
La sonnette retentit lorsqu'elle eut finit de brosser ses cheveux. Rachel dévala les escaliers, un sourire au lèvres, et, dès qu'elle les vits, pris Ambroise et Martha dans ses bras. Ils se rendirent leur étreinte, puis la jeune blonde salua chaleureusement les parents de ses amis. Sa mère et son père firent de même, et tout ce petit monde s'installa autour de la table de jardin joliment dressée.
Tandis que la mère de Rachel déposait les entrées entre les assiettes de chacun, Ambroise et Martha papotaient vivement avec leur amie. Ils racontaient en détail leur voyage de quelques jours, et Rachel acquiescait et relançait la discution, curieuse de savoir ce qu'ils avaient apprécié le plus.Pi-ou, discret depuis le début de la journée, sauta soudainement sur les genoux d'Ambroise. Ce dernier, étonné, ne réagit pas tout de suite, mais finit par le caresser, machinalement. Rachel lui lança un petit regard plein de sous-entendu, mais il ne sut quoi répliquer ; les poils du chat étaient très doux, et il ronronnait déjà. Pi-ou se faisait cependant très discret lorsque le jeune homme mangeait, car le père de Rachel lui fit les gros yeux ; il s'agissait de ne pas gâcher les plats que sa femme et sa fille avaient fait avec tant d'amour.
La nourriture se succédait, les parents faisaient connaissance, les jumaux et Rachel rigolaient à gorge déployée, le ventre se remplissait petit à petit, le soleil rechauffait les coeurs et les épaules, et pour la deuxième fois de la journée, pour Rachel, il régnait un sentiment de légèreté et de bonheur.
Le repas s'éternisait, le dessert n'allait pas tarder à arriver, mais les ventres étaient déjà pleins. Alors Martha proposa d'aller se promener dans les environs de la maison, et de revenir ici pour manger le dessert. Tout le monde approuva, et en cinq minutes, tous étaient dehors, dans la fraîcheur de ce début de soirée, prêts pour une petite promenade digestive.Les robes de Martha et Rachel s'envolaient au gré du vent, et les cheveux un peu trop long d'Ambroise lui tombaient dans les yeux. À cet âge là, un petit quelque chose commençait à vous faire prendre confiance en vous, à grandir, et c'est lors des soirs d'été comme ceux-ci qu'on se sent encore plus grand, encore plus beau, avec notre robe, ou avec ce chat qui nous ronronne entre les jambes.
La ballade dura presque une demi-heure ; ils eurent le temps d'aller jusqu'au lac, mais n'y étaient pas restés très longtemps. La nuit tombait, et les parents ne tenaient pas à ce que leur enfants veillent trop tard. Alors le dessert fut prit rapidement, mais avec délectation de chaque bouchée. Rachel et sa mère avaient fait du très bon travail, et elles en furent longuement félicitées.
Les trois amis ne voulaient pas se séparer, mais le fatidique moment arriva finalement, à leur grand désespoir. Comme lors de leurs retrouvailles, ils s'étreignèrent, et planifièrent quelque chose pour le lendemain. Pendant ce temps, les adultes se saluaient rapidement, et promirent eux aussi de se revoir, pour un petit apéro, ou bien autre chose. Après tous, ils n'étaient pas si loin que ça les uns des autres. À quelques arrêts de bus, seulement.

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L'été d'Avant
Short StoryRachel passe tous ses étés au même endroit. Elle remet toujours tout entre les mains du destin, et ne planifie jamais rien. Alors elle espère quelque chose de nouveau pour cet été. Elle finira par trouver la compagnie de trois nouveaux amis, qui lu...