Chapitre 2 : Le Dragon d'or

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Les statues de reptiles volants gardaient l'entrée, la gueule grande ouverte.

Essayaient-ils de m'impressionner ? Il en faudrait plus.

Je m'immobilisai un instant, en face de la devanture de ce restaurant de luxe. Le Dragon d'or. Même le nom criait la masse d'argent à leur disposition. Les dorures qui couvraient la façade ne faisaient qu'accentuer cette tendance à la frime. Ils avaient dit être propriétaires du restaurant.

Est-ce qu'ils essayaient d'avoir l'ascendant sur l'entretien avant même que je ne franchisse la porte ?

Je me remis en route, après m'être secouée. Je devais arrêter cette habitude de tout analyser. Tout irait bien. Ils ne savent certainement pas qui je suis. C'était l'occasion d'avancer masquée, de recueillir des informations pour mon compte.

Qui qu'ils soient, c'étaient de gros poissons.

L'impression étouffante de luxe m'étouffa encore plus quand j'eus franchi la porte. Quelques clients étaient attablés, tous portaient un costume sur mesure qui leur donnait un air beaucoup trop sérieux. Chefs d'entreprise, responsables politiques, hommes de l'ombre ?

Je ne connaissais pas leurs visages. Ce qui m'inquiétait. J'avais plutôt l'habitude de naviguer en terrain connu.

Alors que mon malaise s'intensifiait, un homme se leva pour m'accueillir.

La quarantaine, les cheveux bruns coupés courts, des lunettes carrées qui lui donnaient un air sérieux. 

"Bonjour ! C'est moi qui vous ai appelée, Jeremy Lauzan. Je vous présente mon frère, Luc."

Il désigna la table qu'il venait de quitter. On aurait dit un jumeau, à quelques détails près. Je ne pouvais les distinguer que par la couleur de leurs costumes, faits de différentes teintes de gris.

"Chloé, ma chérie, tu peux nous laisser, nous allons discuter travail." 

Restée en retrait, la fillette qu'il venait d'interpeller leva ses yeux, résolument fixés vers ses pieds jusqu'ici. Elle ne se fit pas prier pour quitter les lieux.

"Ma fille..." expliqua Jeremy. "C'est difficile de s'occuper d'elle avec le travail qui nous attend... Enfin... Justement, prenez donc place !"

L'homme d'affaires revint s'asseoir à son siège, tout en me désignant une place en face de lui et son frère.

Alors que je m'installais, Luc appela un serveur d'un claquement de doigt. Un simple signe de tête lui suffit pour signifier ce qu'il voulait.

Le garçon tira des rideaux autour de leur table, leur offrant l'intimité au milieu des autres clients.

"Un peu de discrétion concernant cet entretien ne fera pas de mal." avança Luc.

Je me replaçai maladroitement sur mon fauteuil tapissé de soie rouge. Ils prenaient bien trop de précautions, ce n'était pas normal.

"Nous avons pris contact car nous avons besoin... de vos talents." expliqua Jérémy avec prudence.

Je décidai de garder espoir. Peut-être que malgré toute cette mise en scène, ils ne m'avaient pas encore percée à jour. J'affichai un grand sourire avant de répondre :

"Bien sûr, je suis tout à fait prête. J'ai déjà servi comme commerciale auprès de grandes entreprises, notamment..."

Je me figeai brusquement : Luc venait de lever la main pour m'interrompre.

"Je vous arrête ici." intervint-il avec une lueur de malice dans les yeux. "Nous sommes plutôt à la recherche de vos dons... scientifiques."

Mon cœur s'emballa.

J'essayai de sourire à nouveau, mais je ne parvins qu'à étaler un rictus gêné :

"Je ne vois pas de quoi vous voulez parler..."

Jérémy secoua la tête, l'air désolé :

"Ne vous donnez pas la peine. Nous savons qui vous êtes. Nous savons aussi que vous préférez d'ordinaire contacter vos employeurs vous-même et garder le contrôle."

C'était comme si il venait de m'envoyer un uppercut à l'estomac. Le souffle me manquait pour répondre.

"Comment... ?" parvins-je à balbutier.

"Nous avons nos méthodes. Et nos contacts." fit miroiter Luc, occupé à faire rouler son pouce contre ses doigts, dans une attitude dominatrice.

Je serrai les dents. Ils m'avaient piégée. C'étaient eux qui menaient la danse. Je devais me sortir de ce guêpier.

"...Vous m'avez espionnée." les accusai-je, furieuse.

"Espionnée, le mot est fort !" plaisanta Jérémy.

Ils avaient l'air de bien s'amuser. Ce n'était pas mon cas.

Je me levai sans prévenir, direction la sortie.

"Cet entretien est terminé." annonçai-je, inflexible.

"Attendez !" protesta Luc. "Nous avons besoin de vous. Ce sera bien payé."

"Je me fiche de l'argent !" mentis-je, alors que je m'approchai des rideaux pour les soulever.

"En êtes-vous certaine ? A quand remonte votre dernier emploi ? Certes, j'ai entendu dire que la paye était confortable, mais vous semblez manquer d'options...Et si les autorités parvenaient à remonter votre trace..."

Je me stoppai, pour me retourner lentement, face à eux.

"C'est une menace ?" articulai-je, un mélange de rage et de peur ravageant mes entrailles.

"Une offre d'opportunité pour vous. A prendre ou à laisser."

Le luxe or et rouge de la salle de restaurant me monta à la tête une nouvelle fois.

"Bien payé comment ?" demandai-je, curieuse.

"Très bien payé." affirma Jérémy, un sourire féroce ancré sur le visage.

J'hésitai, pris une nouvelle inspiration. Je décidai de me jeter dans la gueule du dragon :

"Alors, que voulez-vous exactement ?"

"Nous avons sur les bras un projet d'entraînement de troupes d'élites. L'armée en profitera, l'état finance, mais c'est une branche, comment dire... Obscure. Strictement confidentielle. Vous ne serez pas dépaysée." exposa Luc.

Le petit sourire supérieur qu'il affichait me donnait l'envie de l'effacer définitivement. Un défi intéressant.

"Où est-ce que j'interviens, là-dedans ?"

"En fait, nous avons besoin de vos talents de biologiste. Plus précisément, du genre de ceux que vous avez déployés dans le projet Chimera."

Je retins un hoquet de surprise :

"Ce projet-ci était strictement confiné, vous n'avez pas pu en entendre parler, comment avez-vous pu..."

"Oui, mais nous vous l'avons dit, nous avons nos méthodes." évoqua Luc, doucereux.

"C'est précisément pour cela que je ne peux pas vous faire confiance." lâchai-je, désarmée.

"C'est comme vous voulez. On ne contacte pas les gens comme vous avec des moyens traditionnels, vous vous en doutez bien. Aujourd'hui, on vient à vous avec une approche positive, amicale. Il pourrait en être autrement..."

"C'est bon, j'ai compris." coupai-je. "Quand est-ce qu'on commence ?"

Labyrinthe : OrigineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant