Labyrinthe : Origine

Chapitre 9 : Diplomatie

Je reste silencieuse, ma pensée comme figée après l'annonce de l'intelligence artificielle.

Je vais mourir, ou bien ma sœur va être tuée, et c'est la seule issue possible de cette situation. Il n'y a aucun moyen d'obtenir le code de l'autre "candidat", il n'y a aucune raison rationnelle pour n'importe qui au monde de le donner. La seule issue acceptable pour moi, c'est un succès total : donner un mauvais code à mon adversaire, et arriver à lui soutirer le bon pour moi.

Mais c'est impossible. Parce que l'autre va forcément avoir le même raisonnement. Aucun code correct ne pourra jamais être tiré de cette épreuve.

Je vais mourir : c'est la seule solution possible à ce puzzle. L'idée imprègne mon esprit progressivement, et je me surprends à ne pas céder à la panique tandis que l'éventualité de ma propre fin m'apparaît de plus en plus inévitable.

Peut-être le flou sur la façon dont ça va arriver m'aide à ne pas céder à la peur.

Et c'est sûrement mieux comme ça : au moins ma sœur survivra. Mon seul regret sera de ne pas avoir pu lui parler avant la fin...

Mais non...

Je me maudis soudain d'avoir pensé ça un seul instant. Je n'abandonnerai pas Sophie à ces deux psychopathes. Je trouverai un moyen de récupérer ce fichu code. Même si ça va sûrement me demander une bonne dose de diplomatie...

La froide voix robotique s'exprime alors :

"Le code que l'autre candidat doit rentrer apparaît maintenant à l'écran."

Je jette un œil à la console, et y vois s'inscrire une série de chiffres :

"6-5-3-2"

Je pense alors, amusée, qu'il n'y a aucun intérêt pour moi à l'apprendre, étant donné que je n'ai aucune intention de le donner. Excepté, peut être, pour l'information que mon propre code était certainement une suite de quatre chiffres ; ce qui n'était pas évident compte tenu du fait que le clavier permet aussi d'utiliser des lettres. L'information...

Une idée germe dans mon esprit, une idée qui va peut être me permettre de survivre à cette rencontre.

"Oui" pensé-je à voix haute, de plus en plus convaincue, "Oui ! Ça pourrait marcher !"

Je fixe des yeux le panneau de contrôle, décidée. J'ai un plan.

"Vous allez maintenant être mis en relation avec l'autre Candidat." fait la voix désincarnée.

Immédiatement, une ouverture s'ouvre en crissant dans la paroi de tôles derrière moi. Je m'active, finis ma manipulation sur le boîtier informatique, et me précipite dans le couloir maintenant ouvert. Une allée étroite, semblable à toutes les précédentes, est limitée plus loin par une paroi de verre transparent. Derrière, un homme d'âge moyen m'attends, pose son regard dur sur moi tandis que je m'approche du point de rendez-vous.

"Je m'appelle Frank." déclare t-il quand elle fut assez près pour l'entendre.

"Moi c'est Marie. Les présentations sont faites, maintenant vous me donnez ce code.", fis-je d'un ton qui se voulait convaincant.

Frank éclate alors de rire :

"Je supposais qu'on était censés négocier avec diplomatie, vous êtes plutôt mal partie, je vous signale."

"Je n'ai pas besoin de diplomatie. J'ai un moyen sûr de savoir si vous me donnez le bon code, et je ne partirais pas d'ici sans. Et vous non plus." déclaré-je froidement.

Apparemment troublé, Frank s'arrête aussitôt de rire.

"Et je peux savoir quel est ce moyen sûr dont vous me parlez ?" s'enquiert-il, méfiant.

"Donnez moi mon code, et vous le saurez." fis-je d'un ton égal.

Avec un petit sourire, Frank lâche :

"7-8-5-3."

J'accueille l'information avec un petit temps de pause. Je souris légèrement, et déclare :

"Nous verrons bien."

Je sors de ma poche le boîtier qui était accroché au mur, transpercé de fils électriques dénudés. Frank fronçe les sourcils en le voyant :

"C'est..." commence t-il.

"Oui." Je le coupe brusquement, "Mais je l'ai un petit peu modifié."

Je pianote rapidement sur le clavier, puis appuis sur le bouton de validation théâtralement.

"Oh" fais-je, l'air faussement désolé, "On dirait que vous allez devoir me donner le vrai code cette fois-ci."

Et à ces mots, je tends l'appareil devant la vitre, mettant l'écran bien en vue : il y était inscrit "INVALIDE" en lettres digitales.

Frank paraît paniqué :

"Comment... Comment avez-vous... ?", bégaye t-il.

"Je suis douée avec mes mains. Et j'ai quelques occupations scientifiques, en dehors de cet enfer." expliqué-je simplement. "Vous savez quoi ? Si vous me donnez le vrai code maintenant, je pourrais peut être vous donner le vôtre en échange." complété-je alors d'un ton faussement aimable.

Elle le tiens. Elle a réussi.

Frank hésite. Il tremble, adossé au mur de tôle, apparemment incapable de prendre sa décision.

"Ce qui est sûr, c'est que si vous ne me le donnez pas, vous mourrez. Je tiens à ma vie, et vous ?" demandé-je alors pour le presser.

"Très bien, très bien !" concéde t-il alors. "4-9-3-1. C'est le vrai."

"Voyons ça" fais-je simplement en pianotant à nouveau sur la console.

"C'est bon, c'est..."

"Je n'ai pas confiance.", coupé-je alors sèchement, finissant de taper sur le clavier. "Et j'avais raison, il semblerait."

Je hausse la voix en montrant à nouveau l'écran indiquant "INVALIDE" en lettres vertes.

"Non..." fait alors Frank. "Non... Non je vous jure ! Il y a une erreur, c'est le vrai code ! Votre machine a un problème ! C'est le vrai, je vous assure ! Votre machine ne marche pas, elle...", proteste t-il en paniquant.

"Merci, merci. C'est ce que je voulais."

"Quoi ?" s'interrompt Frank, sans comprendre.

"Je n'ai jamais eu le pouvoir de deviner si le code que vous me donniez était faux. Je ne faisais qu'écrire "INVALIDE" sur l'écran. Mais grâce à vous, maintenant, j'ai mon code. 4-9-3-1, donc ?" Je triomphe en m'éloignant.

"Non ! Non ! Revenez ! Mon code, vous me l'aviez promis !"

"Rentrez-en un au hasard, ça marchera peut être." lancé-je alors, indifférente à son sort.

Je reviens à l'endroit où était placée la console à l'origine, et n'ai plus qu'à la visser à nouveau au mur. Je n'avais touché à rien d'autre qu'aux fixations. Surexcitée, je rentre le code correct et suspends mon index au moment de valider mon choix, savourant l'instant.

La voix de l'intelligence artificielle surgit alors à nouveau :

"L'entretien est terminé. Vous devez rentrer votre code dans moins de 30 secondes. Tout code non rentré sera compté comme faux."

Avec un sourire satisfait, je presse le bouton de validation. Et mon cœur manque un battement. Je lis sur l'écran, en lettre vertes brillantes :

"CODE INCORRECT."