Chapitre 7 : Suppression

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"SOPHIE !" hurlai-je, aussi fort que mes poumons meurtris me le permettaient.

Sans résultat : ma sœur jumelle restait suspendue par les anneaux de métal, inconsciente.

"SOPHIE, RÉVEILLE TOI !" suppliai-je, la voix écorchée.

J'avais perdu tout contrôle, je frappai de mes poings la vitre qui nous séparaient. Sans plus de résultats que les coupures sanguinolentes qui me striaient les paumes.

"Arrêtez ça !" criai-je alors, la gorge en feu, "Stoppez l'eau !"

Mais le fluide poursuivait son ascension, et lui arrivait maintenant à la taille. Je me mis à analyser froidement la situation pour me redonner contenance. Si je paniquais, c'était terminé.

Je me rendis compte que je devrais subir une apnée d'une trentaine de secondes cette fois-ci, et ne m'en sentais pas capable. Ma sœur ne donnait plus signe de vie, et ne survivrait sûrement pas à la prochaine montée de l'eau dans sa cuve... D'autant que le programme n'avait même pas précisé quand le flux d'eau s'arrêterait.

Quand... ?

L'eau atteignait mon torse quand il me vint une idée folle : peut-être l'eau ne s'arrêterait pas seule ? Peut-être fallait-il moi-même la stopper ?

Prise d'un espoir soudain, j'examinai le plus rapidement que je pus ma cuve dans les moindres détails. Le remous de l'eau qui me secouait m'empêchait de voir ce qui se passait à mes pieds, mais j'étais quasiment certaine que le compartiment était vide, en mettant à part les manettes de fer.

Je posai les mains dessus, et constatai qu'elles étaient bloquées dans leur mouvement de bas en haut, mais que je pouvais les faire pivoter sur elles-mêmes. J'essayai, et les motifs gravés dans le fer au-dessus du panneau sur lequel reposaient les trois manettes se déplacèrent : des courbes se dessinèrent d'une assez curieuse façon : elles n'étaient pas continues et ne formaient aucun signe ou chiffre connu.

L'eau me surprit alors, surgissant devant mes yeux dans un brusque reflux, et m'immergea la tête sans me laisser le temps de prendre mon souffle.

Je paniquai, glissai sur le fond de la cuve et tombai en me cognant le dos. Me maudissant intérieurement, je pris une impulsion sur mes pieds pour remonter le plus vite possible à l'air libre. J'expulsai dans un crachat l'eau qui avait envahi mon palais, hors d'haleine. 

J'eus seulement quelques secondes pour inspirer profondément, puis me plongeai à nouveau à hauteur des manettes. Ouvrant les yeux sous l'eau, je pris bien garde d'économiser mon air, et utilisai l'énigme qu'on m'imposait pour se calmer.

Mon esprit scientifique et logique se réveilla, et l'analyse froide de la situation me sauva de la panique. J'essayai de tourner les trois manettes, et constatai qu'en effet toutes pouvaient pivoter, suggérant une combinaison requise pour résoudre le puzzle. Les lignes courbes dansaient sur le panneau de métal, et je tentai de les faire se rejoindre en maniant successivement les manettes.

C'est alors que je compris l'objectif de ce puzzle. Deux gouttes. Deux gouttes d'eau.

Je fis pivoter une dernière fois la manette que j'avais en main, et fis se rejoindre parfaitement les lignes pour dessiner deux gouttes d'eau parfaites. Aussitôt, un déclic se fit entendre et ma cuve se vida entièrement, en même temps que celle de ma jumelle. Emportée par le courant de l'eau qui s'évadait par la grille, je me reçus sur le ventre, à la limite de l'asphyxie, et il me fallut plusieurs minutes pour reprendre mes esprits.

Quand je relevai la tête, je m'aperçus que la vitre devant moi avait disparue. Mais ma sœur aussi.

Mon cœur tomba dans ma poitrine, et il me fallut un instant pour me rendre compte que la plateforme de la cuve de ma sœur s'était transformée en vide béant. Il donnait sur un trou noir comme la nuit, et dont je ne pus évaluer la profondeur.

La voix froide et robotique fit alors son retour :

"Vous avez sauvé votre proche en réussissant votre épreuve. Mais le Concepteur vous soumet à un autre test."

La rage bouillante qui sommeillait en moi s'éveilla soudain :

"C'est qui ce Concepteur ? C'est Jeremy hein ? Ou Luc ? Allez, confirmez-le moi, un seul mot et je les détruis, eux et tous ceux qu'ils aiment ! "

"Ce test fera appel à votre sens de la diplomatie." déclama calmement l'intelligence artificielle, non sans une certaine pointe d'ironie. "Vous allez être mise en relation avec un autre candidat. Sortez de la cuve et avancez jusqu'à la cloison."

Derrière moi, la plaque de verre interdisait tout retour en arrière. Il semblait bien que je n'avais pas le choix.

"Et si je saute dans le vide pour récupérer ma sœur ?" tentai-je alors.

"La mort vous attend, avec une probabilité de 98,57%. Vous effectuerez une chute libre d'une hauteur de 32 mètres." annonça la voix sans aucune émotion.

Je levai un sourcil, étonnée mais résignée :

"On va dire que ça ne vaut pas le coup, alors."

J'obéis donc la mort dans l'âme et m'engageai dans le couloir de tôles couvertes de saletés. Je retins une exclamation de dégoût, et avançai, pressée d'en finir. Le couloir présentait un virage sur sa droite au bout de plusieurs dizaines de mètres, et je pouvais apercevoir au fond ce qui ressemblait à un panneau de contrôle, muni d'un écran numérique et de quelques boutons à presser. La voix artificielle se fit à nouveau entendre :

"Pour continuer votre route, vous devrez composer le code sur le panneau qui vous fait face. Ce code est connu seulement du candidat que vous allez rencontrer dans ce test. Vous détenez son propre code. Vous aurez droit à un entretien avec l'autre candidat d'une durée de 5 minutes, lors duquel vous pourrez vous échangez vos codes. Vous pourrez alors continuer votre route. Trois cas se présenteront.

Si aucun d'entre vous n'entre le bon code, vous serez tous les deux supprimés du programme Labyrinthe.

Si un seul de vous deux entre le bon code, il sera autorisé à continuer, et son proche survivra. L'autre candidat, ainsi que son proche, se verra supprimé du programme Labyrinthe.

Si les deux candidats entrent le bon code, ils seront tous les deux autorisés à continuer, au prix d'une suppression de leurs proches."

"Vous allez faire quoi à Sophie ?" demandai-je, paralysée dans un mélange de stupeur et de terreur, "Vous allez faire quoi si je ne rentre pas ce foutu code ?".

"Suppression." répéta simplement le programme.

Labyrinthe : OrigineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant