Labyrinthe : Origine

Chapitre 6 : Intelligence

Les tests avaient débuté depuis longtemps. Mais aujourd'hui, c'était le jour où ils allaient vraiment avancer. J'étais arrivée en avance au laboratoire clandestin et avais apporté ce qui serait la pièce maîtresse de leur projet.

Dans les bassins de verre habituellement remplis d'eau, se tenait maintenant une longue liane verte serpentant sur toute la surface disponible. Un réseau de capteurs électrique la parcourait de bout en bout, et je les avais reliés à une batterie d'ordinateurs prêts à enregistrer les données. La seule chose que j'attendais, c'était l'arrivée des frères Lauzan, qui ne tarda pas. L'habituelle lueur jaillit du haut du tunnel, assez forte pour être remarquée du coin de l'œil mais trop faible pour éclairer quoi que ce soit avec précision.

Les bruits de pas s'approchaient de plus en plus, et je serrai les dents : c'était la première fois que j'étais présente dans leur labo clandestin avant eux. C'était moi qui avait insisté, afin d'avoir une chance de découvrir quelque chose qu'ils pourraient me dissimuler, mais cette tentative s'était révélée infructueuse. Et les Lauzan n'allaient sans doute pas apprécier cette intrusion sans leur présence. Ni leur accord.

Et en effet, quand Jeremy fut à portée de voix, il commença par s'adresser à moi avec un ton teinté de reproche :

"On fait du zèle, de bon matin ?"

"Je ne suis pas payée à l'heure, je ne vois pas de raison d'en faire." répliquai-je tranquillement.

"Une raison, vous avez intérêt à m'en donner une, justement." fit Jeremy tout en s'approchant, de plus en plus menaçant, son frère sur ses talons.

"Sinon ?" lâchai-je, tout aussi agressive.

"Sinon on va devoir vous surveiller de bien plus près, parce qu'on sait ce que vous êtes capable de faire, et on sait aussi jusqu'où vous pouvez aller pour doubler des..."

"Les gens que je double, je ne prends pas rendez-vous avec." le coupai-je immédiatement, "Ils ne connaissent ni mon nom ni mon visage."

Pendant un instant il resta là, à me fusiller du regard, tandis que Luc observait la scène en retrait, apparemment gêné. Après de longues secondes de silence électrique, il s'éclaircit la gorge et désigna la cuve :

"Du nouveau ?" demanda t-il d'un ton qui se voulait curieux.

Mes yeux assassins accrochèrent Jeremy une poignée de secondes encore, avant que je ne me tourne vers son frère.

"Oui." fis-je en me déplaçant vers la cuve pour leur montrer ce qui s'y tenait, "La voilà, la raison."

« Qu'est-ce que c'est ? » fit Jeremy, agacé que je m'en sorte à si bon compte.

« Si vous me laissez en placer une, je pourrais vous expliquer... » répliquai-je, tout aussi exaspérée.

« Faites attention à ne pas dépasser les... » commença t-il, sur le point de s'énerver pour de bon. Mais je le coupai aussitôt :

« Une intelligence. » dis-je en désignant la liane, qui reposait toujours immobile dans la cuve.

Alors que Jeremy eut un geste d'impatience, son frère prit aussitôt le relais :

« De quelle sorte ? »,demanda t-il.

« Ce que vous voyez là est aussi actif et complexe qu'un cerveau humain. Sauf que c'est un être vivant à part entière, et qu'il ne fait pas que réfléchir : il réagit aussi. »

Les deux frères gardèrent alors le silence, et, pour la première fois, semblèrent tous deux vraiment intéressés par la chose.

« D'où est-ce que vous nous sortez ça ? » fit Jeremy d'un ton soupçonneux.

« Vous n'aimeriez pas savoir. » répondis-je calmement.

« Comment est-ce que vous comptez vous en servir ? » demanda alors Luc.

« J'ai déjà pu reconnaître quelques réponses émotionnelles et d'autres signaux en les provoquant, puis en les mesurant. » expliquai-je en montrant les ordinateurs. « Si vous arrivez à coder les signaux électriques pour les implanter en retour dans la plante, on pourra la commander par informatique. C'est ce que vous vouliez...non ? »

Luc se dirigea alors sans rien dire vers l'écran, examinant longuement mes résultats.

« La peur ?... » demanda t-il, curieux.

Je haussai les épaules :

« J'ai failli lui mettre le feu, et j'ai regardé. »

Luc tapa alors rapidement quelque chose sur son clavier, puis leva les yeux vers la cuve. A l'intérieur, la liane se tortillait doucement, puis soudain, claqua comme un fouet contre la vitre. Le bruit soudain leur fit avoir un mouvement de recul à tous les trois. Jeremy porta la main à son cœur, comme pour calmer des battements trop rapides.

"C'est... Impressionnant !" lâcha t-il, haletant.

Je repris plus vite contenance, et vérifiai les données de l'ordinateur d'un coup d'œil.

"Qu'est-ce qu'on a ?" demandai-je à Luc.

Celui-ci examina l'écran quelques secondes, puis blêmit :

"La réponse émotionnelle a changé. On n'est plus face à de la peur...Vous reconnaissez le signal ?"

Je m'approchai pour mieux voir et me penchai vers l'écran : les courbes et leurs formes en montagnes russes se dessinaient devant mes yeux, sans rien m'évoquer :

"Non, je ne l'ai jamais eu, celui-ci."

"Qu'est-ce que c'est ?" demanda Jeremy en les rejoignant.

Je pensai aussitôt qu'il ne pourrait de toute façon rien comprendre à ce qu'il verrait, mais son frère m'interrogea à son tour :

"Ça pourrait être...de la colère ?"

L'hypothèse fit germer le doute dans mon esprit scientifique. Je déplaçai lentement mon regard vers le sujet de l'expérience : cette liane noueuse si complexe paraissait maintenant tellement effrayante.

"Non, pas ça, ça voudrait dire...qu'elle a compris ce qu'on fait d'elle."

Dans la cuve, à ces mots, la liane s'enroula autour d'elle-même et glissa au sol à la manière d'un serpent.