"14, rue Victor Hugo... ça ne peut être qu'ici." marmonnai-je pour moi-même en contemplant la bâtisse qui me faisait face.
Les frères Lauzan m'avaient donné rendez-vous à cette adresse pour un second entretien, et j'étais parfaitement certaine d'être au bon endroit.
Seul souci :je me trouvais devant une boucherie.
"Ils se foutent de moi." commentai-je en fulminant.
Je traversai la route quand le trafic se fut calmé. J'entrai dans le commerce, vide de tout client, et fus accueillie par un homme aux cheveux grisonnants et aux rides déjà prononcées. Il leva son regard vers moi, souriant.
"Que puis-je faire pour vous ?" lança t-il d'une voix claire.
J'hésitai avant de préciser qui m'avait demandé de venir...après tout, je m'étais peut être simplement trompée d'endroit... Non, c'était le bon numéro.
"Les Lauzan me demandent." lâchai-je, stressée.
Mon interlocuteur changea tout de suite d'expression :
"Oh !"
Les yeux écarquillés, il tendit la tête vers la rue, comme pour vérifier si personne ne m'avait entendue. Bien que nous restions toujours désespérément seuls.
"Venez par ici !" continua t-il en désignant une porte dans son dos.
Je dus contourner le présentoir et me frayer un chemin à travers la viande séchée suspendue pour le rejoindre dans l'arrière boutique : une salle étroite ne contenant à première vue que des réfrigérateurs. Mais mon hôte se pencha au sol, détacha une dalle du carrelage et révéla ainsi un mécanisme caché. Il l'actionna avec vigueur, ce qui fit vibrer la pièce : leurs jambes se secouèrent et je dus m'accrocher au mur pour ne pas tomber.
Le mur du fond pivota, et s'affaissa doucement en arrière puis s'enfonça dans le sol de façon à former un passage descendant dans ce qui semblait être un souterrain.
"Oh, j'oubliais !" s'exclama t-il en se frappant la tête.
Il attrapa un écriteau indiquant "fermeture" et alla l'accrocher à la porte de sa boutique, laissant une Marie bouche bée devant le mécanisme qu'il venait de déclencher.
"Au moins..." pensai-je, "Je suis tombée au bon endroit."
Je fus vite rejointe par l'homme qui l'invita à descendre dans le passage maintenant révélé. Je m'enfonçai donc dans les ténèbres grandissantes qui habitaient cette partie souterraine, et dus m'aider des murs humides pour ne pas perdre l'équilibre quand la lumière disparut totalement. J'eus l'impression de marcher une éternité, avant d'apercevoir une pâle lueur au bout de cet interminable tunnel. Des bruits confus se firent entendre et s'intensifièrent jusqu'à ce que nous fumes arrivés : nous débarquions tout deux dans un laboratoire, une salle circulaire immense, remplie d'ordinateurs et de bacs en verre vides dont j'ignorais l'utilité. Pour l'instant.
Elles ressemblaient aux cuves de bio-confinement que j'avais déjà vu au cours de mes anciennes expériences... Que comptaient-ils faire avec ça ?
Les deux frères étaient assis côte à côte à la table ronde centrale, apparemment en grande conversation, quand ils nous aperçurent :
"Ma chère Marie !" lança Jeremy d'un ton enthousiaste, "Rejoignez-nous, s'il vous plaît."
Je m'exécutai, descendant les quelques marches qui me mènerais jusqu'à eux, tandis que Jeremy poursuivait :
"Notre couverture vous plaît ?"
J'esquissai un sourire et acquiesçai d'un signe de tête :
"Elle est parfaite. Vous n'êtes pas trop dérangés comme ça, au moins ?"
"Julien nous rend un grand service, je l'avoue..." répondit-il en désignant l'homme qui attendait en haut des marches. "Tu peux nous laisser, maintenant."
A ces mots, j'entendis derrière moi ses bruits de pas qui s'éloignaient, et après quelques secondes de silence, Jeremy reprit :
"Parlons affaire. Vous avez amené les dossiers ?"
"Comme prévu" confirmai-je en sortant des fiches cartonnées remplies de papiers. "Vous m'expliquez le projet ?"
Après un nouvel instant de silence, comme Luc ne se décidait toujours pas à parler, ce fut Jeremy qui reprit :
"Vous aurez tous les détails après nous avoir montré...l'essentiel de vos compétences. Pour être sûrs, vous comprenez ? Commençons par Chimera, vous voulez bien ?"
Ce manque de confiance et cette exigence de leur part avaient le don de me vexer. Je ne trouvais pas normal de devoir ainsi montrer patte blanche alors qu'ils tenaient à garder leurs activités secrètes. Néanmoins, j'obéis et ouvris le dossier concerné :
"Chimera." annonçai-je, solennelle, "Projet biologique ayant des visées médicinales. Le but visé était la régénération cellulaire instantanée, notamment dans le cas de greffe. Nous avons justement créé une créature à partir de greffes entre différents animaux. Ici, le serpent et le lion cohabitaient, la ressemblance avec la créature mythique a donné son nom au projet."
"Quel était votre rôle exact dans le projet ?" intervint Luc.
"C'est expliqué ici" désignai-je en tournant quelques pages, "Quand mes collègues s'occupaient de la régénération en elle-même, j'étais chargée de la cohésion de l'ensemble. Tant au niveau cognitif que de la stabilité de la greffe."
"Cognitif ?" demanda Jeremy, interrogatif.
Après un léger soupir, j'expliquais :
"En d'autres termes, c'est grâce à moi si le serpent ne tente pas de mordre le lion..."
C'était fatiguant d'avoir affaire à des néophytes.
"Ça pourrait correspondre à ce qu'on cherche." assura Luc avec un sourire satisfait. "D'autres projets ? J'ai entendu que vous touchiez à la physique également..."
"Vous devez parler de ça ?" demandai-je en désignant un dossier nommé Time Machine. "Je n'ai que peu travaillé dessus..."
"Peu ?" s'étonna Jeremy, "Ce n'est pas ce que dit la rumeur..."
"Et qu'est-ce qu'elle dit, la rumeur ?" lâchai-je sur un ton teinté d'agressivité.
"Que c'est une copie conforme du travail de deux autres physiciens..." insinua t-il d'une voix doucereuse.
D'abord prête à m'énerver pour de bon, je décidai finalement d'abandonner pour l'instant :
"On s'en est largement inspirés, c'est tout. D'autres questions, ou on passe à vous ?"
"Pas d'autres questions" déclara Jeremy d'une voix soudain sèche. "Je vous explique donc : nous travaillons sur le projet Labyrinthe. Il s'agit d'un programme d'entraînement spécial qui confronte les participants à un environnement particulièrement dangereux. L'idée est d'automatiser toutes les menaces via une intelligence artificielle."
J'attendis quelques secondes pour la suite, mais il semblait avoir terminé son explication. Au premier rendez-vous, j'avais déjà compris que leur projet serait dans ce goût-là, mais je ne voyais toujours pas pourquoi ils prenaient tant de précautions.
"Et mes talents dans tout ça ?" demandai-je.
"Pour tout ce qui est complications scientifiques, voyez avec mon frère." précisa Jeremy.
Luc s'empressa de compléter :
"Le spécialiste en informatique, c'est moi." confia t-il. "Mais l'idée, c'est d'intégrer l'informatique à la biologie...On veut que les programmes d'entraînement puissent être intégrés dans les obstacles eux-mêmes."
"Les obstacles ?" répétai-je sans comprendre. "Ce ne sont pas de simples robots ?"
"Les obstacles sont de nature biologique, justement. Ainsi ils s'adaptent à toutes les situations, ils ont leur intelligence propre, en plus des commandes qu'on leur apprendra via l'informatique."
"De nature biologique...commandés par l'informatique ? C'est ce que vous avez ?" demandai-je, impressionnée.
"Non c'est ce qu'on aura." répondit Luc, ravi, "grâce à vous."
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Labyrinthe : Origine
Mystery / ThrillerPrise au piège, mise en cage... Je sais parfaitement à qui je le dois, et je sais parfaitement ce que je dois faire pour m'en sortir. Le seul mystère qui reste... Comment en suis-je arrivée là ?