4 - Curiosité

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"C'est quoi la passion ? C'est une attirance irrésistible."
Madeleine Chapsal

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Sir Charles Henry Fox sortit de sa chambre en titubant, aidé par un valet dont personne ne se rappellerait le visage, mais qui pourrait témoigner à tous – et surtout aux journalistes – que le pauvre homme était dans un état délirant, et n'arrêtait pas de parler du diable.

Lorsque Sir Charles revint dans la salle, c'était l'heure de son discours. Sa femme l'attrapa par le bras, excédé par son retard, et le poussa sur l'estrade.

L'homme qui était mort mais ne le savait pas encore s'avança en titubant jusqu'au pupitre où était posé les quelques feuilles de son discours. Il avait la gorge affreusement sèche, et mal à la tête...

Il sortit de sa poche un paquet d'aspirine. Qui lui avait donné ça ? Le valet, tout à l'heure... Il la vida dans le verre d'eau qui était à sa disposition, sans s'appesantir sur sa couleur étrange, ni sur l'impatience de la foule.

Mais, au moment où il allait porter le verre à ses lèvres, son regard balaya l'assemblée...

Et il le vit.

J'ai dit plus haut que Moran pouvait, par sa simple volonté, se fondre dans n'importe quel environnement. Mais l'inverse était aussi vrai. S'il le désirait -ce qui était très rare- il pouvait aussi faire en sorte qu'on le remarque. À quoi ça tenait ? Sa posture ? Son expression ? Sa silhouette ? Son visage ? Nul n'aurait su le dire. Il était juste impossible de le rater.

Et c'est ainsi que le regard de Sir Charles se posa sur une silhouette immobile, au milieu de la foule. Un homme extraordinairement beau. Qui le regardait. Droit dans les yeux. Et son regard était insoutenable. Parce qu'il y avait dedans un arrêt de mort. Et une totale indifférence.

Sir Charles chancela. Des murmures commencèrent à parcourir la foule.

-Il est venu, souffla-t-il, ses paroles, à travers son micro, se répercutant dans toute la salle. Je n'ai pas payé mon tribu à Lucifer. Il est venu me chercher.

Son regard se posa sur le verre qu'il tenait dans sa main. C'est vrai qu'il avait soif.

Il le vida d'un trait.

Aussitôt, son visage vira au cramoisi. La foule hurla lorsqu'il commença à cracher du sang... et mourut, en un instant.

Mais Sebastian n'avait pas vu tout ça. La mission était accomplie. La chasse menée jusqu'au bout. La mort en elle-même ne signifiait pas grand-chose à ses yeux, c'était l'adrénaline traque qui le faisait vivre.

Il grimpa dans la voiture qui l'attendait, dans la petite ruelle, derrière la porte de service.

Et son cœur failli s'arrêter.

Il était là.

-Eh bien, Sebastian, quel joli cirque vous nous avez fait là.

-Ce n'était pas ce que vous vouliez ? S'inquiéta soudain le chasseur.

-C'était exactement ce que je voulais, Sebastian. Exactement. Même la petite touche de baroque était là. Comment est-ce possible, dites-moi ?

Moran lâcha un énorme soupir, soulagé.

-Je ne sais faire que deux choses correctement, répondit-il. Mais je les exécute parfaitement. Tuer en fait partie. Et j'ai... J'ai senti, en quelque sorte, ce que vous attendiez de moi. Je ne pourrais pas être plus explicite.

-Vous avez senti ce que je voulais ? Répéta Moriarty, incrédule.

-Je me suis fié à mon instinct. C'est ce que je fais toujours.

Moriarty resta un instant silencieux. Étais-ce possible ? Que cet homme, qu'il n'avait rencontré que deux jours plus tôt, l'ai compris ? Instinctivement ? Là où personne, aucun être vivant sur cette terre n'avait jamais pu percer la moindre de ses pensées ?

Il sortit un objet de sous sa banquette, et lui tendit distraitement.

-Cadeau de la maison. Estimez que vous faites définitivement partit de l'équipe. Vous avez réussi le test.

Moran s'en saisit, un énorme sourire sur le visage. C'était le fusil qu'il avait abandonné dans une benne à ordure. Moriarty secoua la tête, incrédule, devant la joie toute enfantine de cet homme qui venait de terroriser à mort un de ses congénères sur un simple ordre de sa part.

-Lucifer ? Lança-t-il avec une moue amusée. Est-ce ainsi que vous me percevez, Moran ?

-Oui, répondit l'autre, qui, en dehors d'une traque, était absolument incapable de concevoir l'idée même du mensonge. Vous régnez sur les Enfers, sur tous ce qui est mauvais dans cette ville, et pourtant, loin de cette corruption, vous êtes assurément la créature la plus fascinante et la plus belle que je n'ai jamais rencontré.

Moriarty haussa un sourcil devant le compliment le plus étrange qu'on ne lui ais jamais adressé.

-Vous a-t-on déjà dit que vous étiez bizarre, Sebastian ?

L'autre eut un petit sourire.

-En effet.

Moriarty étira ses lèvres, imaginant déjà toutes les possibilités qui s'offrait à lui avec un tel homme sous la main.

-J'aime la singularité, lança-t-il simplement en tapotant du bout de ses phalanges la vitre qui les séparait du chauffeur.

La voiture se mit en marche.

Le cœur de Moran eut un douloureux raté. Moriarty appréciait ce qu'il avait fait. Moriarty l'appréciait.

-Quelle est la deuxième chose ? Demanda soudainement le génie du crime. La deuxième chose que vous accomplissez parfaitement ?

-Baiser, bien sûr, lui répondit le chasseur, le plus tranquillement du monde.

Moriarty explosa de rire.

Le chauffeur frissonna et resserra ses mains soudain moites autour de son volant.

Il ne savait pas ce qui se passait à l'arrière, ni qui était exactement ce nouvel employé, mais une chose était certaine : tous les deux, ils étaient absolument terrifiants.

Au Diable les sentiments (Mormor)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant