30- Combien de temps

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J'ai entendu dans un film (Kill Bill), visionné au Pavillon que « La vengeance n'est jamais une ligne droite. C'est une forêt. On peut facilement s'y égarer, s'y perdre, oublier par où on est entré ».

Il est clair que Damon—je ne peux plus l'appeler autrement—s'y est égaré, dans l'abime du non-pardon, englué dans le marasme de son amertume et de sa colère.

Je regarde autour de moi. Une table. Pas d'autres meubles. Rien qui orne les murs. Aucun objet tranchant. Rien. Je fouille dans ma tête, à la recherche d'une brillante idée. Un quelque chose que j'ai vu dans les films dernièrement, ceux dont m'a laissés mon mari. Eurêka ! Délicatement, je retire ma chaussure à talons. J'ai l'idée de profiter de l'occupation du trapu à attacher Hadrien, pour agresser Damon. Il est dos à moi. Lentement, je m'approche de lui, armée de ma chaussure à la main. Je ne suis qu'à quelques centimètres quand je croise le regard appuyé de mon mari. Il tente de me dissuader. Trop tard ! Je fonce sur l'ennemi, mais je suis vite démasquée. Il esquive ma tentative et m'attrape le poignet.

— Ah ma Capucine, ce que tu m'as manqué !

Avec force, il serre mon bras et me pousse violemment vers la table. Puis, il ordonne au trapu de nous laisser.

Je ne sais pas ce qui va se dérouler, mais rien de bon n'est à prévoir. Les yeux de Damon sont deux billes opaques. Son regard est lubrique, son sourire dédaigneux.

— Dis-moi beauté...Je te laisse le choix : la vie sauve si tu te ranges de mon côté ou subir un triste sort aux côtés d'Hadrien.

— Sans hésiter, je LE choisis, LUI ! dis-je les yeux rivés sur mon mari.

— Chérie, NOOOON ! Je ne t'en voudrais pas, s'écrie le concerné. Choisis Damon et sauve-toi !

— Non ! Hadrien, je t'aime, je te choisis toi ! 

— Bien, dans ce cas...répond l'ennemi.

Damon me force à m'asseoir sur la table. Je me débats, le frappe au torse, en vain. Il se place entre mes jambes.

— Pour commencer Hadrien, je vais sous tes yeux, prendre de droit ce qui m'appartient. Je vais sauter ta femme. Et dire que tu n'as même pas été capable de le faire !

— Ne t'avise pas de la toucher ordure ! Je te jure que je vais te tuer, siffle Hadrien, hors de lui.

Anéantie par le sort qui m'attend, je coule un regard sur mon mari impuissant. Ses mâchoires sont serrées, son visage déformé par la colère. Je tente de me concentrer sur mon meilleur ami, sur sa voix éraillée, presque en sanglot.

— Capucine, regarde-moi. Chérie, je suis là. Je suis là...

La main de Damon retire les bretelles de ma robe, déchire mon collier de perles. Je crie et griffe mon agresseur au visage, mais il bloque mes poignets entre ses doigts. Sa langue s'insinue entre mes lèvres, forçant le passage, fouillant les moindres recoins de ma bouche. Je suis prise de nausées. Je suffoque. J'ai envie d'oublier. De disparaître. De mourir. Mais Damon ne me laisse aucun répit. Ses bras autrefois protecteurs, ne sont que destructeurs. Ses mains autrefois aimantes, se font violentes. Ses lèvres autrefois tendres, se montrent dévorantes, comme s'il est un animal en train de manger sa proie.

Je suis impuissante...Hadrien se met alors à faire une chose incroyable, il chante. Il chante pour que je m'égare dans sa voix. Il chante pour que je m'enveloppe de sa mélodie, tel un doux manteau. Une chanson torturée, mais ô combien magnifique.

Combien de temps...

Combien de temps encore

Des années, des jours, des heures, combien ?

LIBRE  #wattys2017. Série Brèches (terminée, en correction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant