La rivière

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Ce jour-là , j'ai cru que c'était un jour comme un autre. Une lumière douce, toute légère s'était déposée sur mes yeux fermés depuis la veille. Comme chaque matin, j'ai attendu quelques minutes avant de les ouvrir, histoire de savourer la chaleur de la lumière sur mon visage encore à moitié endormi. Puis j'ai senti un petit vent chaud sur ma joue, un vent tellement doux et léger que je m'en rappellerais toute ma vie. Ce vent, il était une caresse que l'on reçoit de notre mère en signe d'affection. Ce vent était une douche chaude en plein hiver. Ce vent était aussi doux que le bruit du ruissellement d'une rivière. J'ai alors ouvert les yeux. Comme chaque matin, j'ai d'abord aperçu le plafond de la cabane : des planches de bois à l'horizontale parfaitement bien alignées. Puis je me suis redressée pour contempler à la fenêtre les arbres qui ne laissaient passer que quelques rayons du soleil. Je pouvais entendre le frottement du vent contre les feuilles ainsi que le grincement de quelque vieux arbres.

Ce jour-là , j'ai cru que c'était un jour comme un autre. Je suis descendu de ma cabane par l'échelle en bois. J'adorais cette matière. L'échelle était douce mais j'avais quand même peur de tomber sur une épine au moment où mes mains arrivaient à des endroits plus secs, les moins polis de l'échelle. Une fois en bas, mes pieds nus savouraient enfin le contact direct avec la terre humide, douce et fraiche. Mes orteils s'enfonçaient dedans quelques instants avant de partir pour la rivière.

Ce jour-là , j'ai cru que c'était un jour comme un autre. Je me suis approchée de la rivière, je me suis déshabillée puis je suis entrée dans l'eau glaciale, aussi pur qu'un nourrisson. Cette eau, c'était mon calmant, mon alcool profond. Dès que je rentrais dedans, j'avais l'impression de ne plus être la même personne, comme si je devenais pur et innocent, comme le jour de ma naissance. Cette rivière était ma mère.

Ce jour-là, j'ai cru que c'était un jour comme un autre. Je me suis détendu dans l'eau, me suis mis sur le dos et j'ai laissé le courant de la rivière me porter. Je regardais le ciel bleu défiler. Parfois, les branches des arbres recouvertes de feuilles apparaissaient dans le coin de mes yeux mais je continuais toujours à regarder le ciel. Je sentais l'eau se frotter à mon dos comme un chat à nos jambes quand il veut des caresses. Cette eau, c'était comme si elle savait ce qu'elle voulait faire de moi. J'aurais dû avoir peur de cette eau, de ce courant, de cette rivière mais je ne sais pour quelle raison, cette peur ne s'est pas présentée à moi. Je me suis alors endormis.

Ce jour-là, j'ai cru que c'était un jour comme un autre. Un bruit sourd m'a réveillé. J'ai ouvert les yeux : j'étais toujours emportée par le courant de la rivière mais il me semblait qu'il était plus fort, beaucoup plus fort. J'ai voulu me redresser mais c'était impossible. Mes bras étaient bloqués dans l'eau. La rivière me maintenait prisonnière. Il m'était impossible de bouger. En fait, c'est comme si j'étais un bout de bois dans l'eau : je n'avais d'autres choix que de suivre le courant et me laisser porter par la nature, cette idée me plaisait bien.

Comme je vous l'ai dit, ce jour-là , j'ai cru que c'était un jour comme les autres alors je me suis laissé porter par le temps, la nature, la vie, sans me poser de questions.

Au fur et à mesure du temps, je me déshumanisais. Je n'arrivais plus à penser, oui, c'est bizarre à comprendre mais je ne pouvais plus penser. Je sentais la fraicheur de l'eau dans mon dos, je sentais aussi l'odeur de la nature qui chatouillait mes narines mais il m'était impossible d'émettre un quelconque jugement sur ce que je voyais. J'étais devenuespectateur de la vie et non plus l'acteur.

Et ce jour-là pourtant, j'ai cru que c'était un jour comme un autre alors que j'étais morte. Hilarante situation ! Je m'étais réincarnée en un bout de bois tout pourri, condamné par le courant de cette rivière à me laisser porter je ne sais où dans ce monde dégueulasse. ô si la vie s'était un peu mieux comportée avec moi !

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