Comment tout a commencé

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Chez les Bambara, lorsque tu es confronté à un dilemme, on dit que tu as un problème avec le varan. Selon la croyance populaire, lorsque tu rencontres un varan, soit tu le tues et ta mère meurt, soit tu le laisses partir et c'est ta belle-mère qui meurt. Et le moment le plus intrigant, c'est quand tu te demandes : est-ce vraiment utile une belle-mère ?

Je suis Fatima Konaté et j'ai eu un problème récemment avec le varan. Je vais vous le raconter. Ainsi, verrez-vous par vous-même ce qui est mort autour de moi.

Le campus de l'Université Félix Houphouët Boigny dans la ville d'Abidjan était toujours en ébullition. J'y étais depuis deux ans maintenant et il n'a jamais manqué de vie, de peps. Je le compare souvent à un petit village. Tout le monde se connait. Et comme dans toutes les petites agglomérations, les rumeurs allaient bon train. Pour les « affairés » comme moi, la vie en cité est loin d'être ennuyeuse. Il y a toujours quelque histoire à se mettre sous la dent et les repas ne manquent jamais de matière à conversation. Si un étudiant en lettres modernes se lançait le défi d'écrire un roman sur la vie en cité pendant une année, ce roman s'inscrirait dans le Livre des Records Guinness comme le livre le plus long jamais écrit. Bref, j'aimais ce campus comme Grand Corps Malade aime St Denis. Et ils ne semblent pas si différents :

"J'viens de là ou les mecs traînent en bande pour tromper l'ennui...J'viens de là ou on fait attention a la marque de ses textiles...J'viens de là ou les jeunes ont tous un maîtrise de vannes, un DEA de chambrettes, une répartie jamais en panne"

Je vivais dans une chambre relativement grande avec une colocataire. Je m'estimais chanceuse ; j'aurais pu me retrouver en colocation avec deux autres filles. J'en étais par conséquent satisfaite. Surtout que ma colocataire était une chouette fille. Malicka et moi étions dans la même faculté d'Anglais. Comme beaucoup d'autres, elle aurait préférée être ailleurs mais elle s'en contentait, répétant quand je lui en parlais : « Allons seulement ».

Malicka faisait partie de ces rêveurs de la génération Y qui prônait l'inutilité de l'école et/ou la caducité des systèmes éducatifs. Les success stories de Zuckerberg, de Steve Jobs ou de Bill Gates leur étaient montées à la tête. La moralité de ces histoires ? L'école ne contribue qu'à dix pour cent des connaissances et des capacités nécessaires à la réussite. Malicka travaillait donc pour acquérir le maximum de compétences ; elle tenait un blog qui avait un petit succès, écrivait des articles pour des webzines et se portait bénévoles à différentes actions communautaires. Malicka avait plusieurs cordes à son arc et s'infiltrait dans plusieurs domaines. En fonction de l'évènement, elle portait tantôt la casquette d'hôtesse ou d'organisatrice, tantôt de musicienne (elle joue de la guitare) ou d'animatrice. Je ne le lui ai jamais avoué mais Malicka était la personne que j'admirais le plus. Elle était incroyablement belle, intelligente, forte et pieuse. Oui, Malicka était une fervente croyante. Elle se voilait, faisait ses cinq prières quotidiennes et se tenait à l'écart de tout ce qui était haram. Malicka eut une grande et profonde influence sur moi. C'est quand je la regardais se débattre quotidiennement pour obtenir son indépendance financière que j'eus l'idée de mettre mon seul talent à profit. J'étais polyglotte, pour peu que ce soit un talent. Je parlais l'anglais, l'espagnol, le portugais et l'arabe plus ou moins bien. Je me fis donc remarquer en tant que traductrice. Je traduisais des textes et jouais les filtres à langue à certains grands évènements. C'était extrêmement bénéfique pour moi. J'améliorais mon niveau de langue, je rencontrais de nouvelles personnes avec qui je gardais le contact et je me remplissais les poches.

Malicka me rendait meilleure, me faisait rire, était une belle personne. Et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, elle devint ma meilleure amie, ma sœur.

Les cours à l'UFHB étaient aussi courants que les tornades en Afrique. Nos emplois du temps étaient quasiment vides. Les cours étaient mal organisés, les professeurs donnaient des enseignements peu enrichissants et d'un ennui fétide. De jour en jour, je me surprenais à penser comme Malicka. Si je ne me forme par mes propres moyens, au bout de trois ans, j'aurais toujours les mêmes connaissances que celles d'un BAC+1.

Un jour cependant, l'on eut cours d'anglais des affaires. Ce jour-là, je ne pus y aller. Mes anglais justement, avaient débarqué et avec eux, toutes leurs carabines pour faire feu dans mes entrailles. Eh Seigneur, pourquoi m'as-tu fait femme ?

Quand elle revint du cours, Malicka était plus joyeuse que d'habitude. Elle était presque surexcitée. Elle me fit même la bise, s'enquit de mon état de santé, mit de l'eau à chauffer pour que je prenne une douche. Lasse de faire des rondes dans la chambre à la recherche de quelque occupation, elle vint s'asseoir en face de moi sur le lit.

- Si tu attends à ce que je te demande la raison de ta joie, alors assieds-toi plus confortablement.

- J'ai rencontré un homme, Fatima . 

Le varanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant