Si tu vas à Rio, viens visiter mon beau cachot

140 26 39
                                    

Tous les passagers ont quitté leur siège et ont quitté l'avion. Je reste là, seul, toujours dans ma camisole, saucissonné comme un bâton de berger. Qu'est-ce qu'il fabrique ce personnel de bord ? Dès que je sors, je file porter plainte contre cette compagnie aérienne. En tout cas, plus jamais je ne foutrai les pieds dans un avion d'Air Rio, la compagnie qui vous transporte en dansant le flamenco.

Enfin ! Voilà les hôtesses qui arrivent. Accompagnées d'un policier. Ça tombe plutôt bien. Je n'aurais même pas besoin de chercher après la flicaille. Bon, qu'est-ce que vous attendez pour me détacher ? Arrêtez de parler en espingouin, je ne comprends rien. Pourquoi est-ce qu'ils causent tant ? Et pourquoi cette hôtesse me fusille du regard ?

Bon, je tente le tout pour le tout. On va tenter de baragouiner histoire de se faire comprendre.

« Viva la liberación , gracias ! »

Un des flics commence à s'exciter sur une des accompagnatrices, et un deuxième vient me détacher. Pendant qu'il me libère de mes liens, il me dit dans un Anglais plutôt approximatif :

« On est au Brésil ici. On ne parle pas espagnol, mais portugaich... Le mieux pour vous, serait de parler en inglèch.

-Ouais, hein, bon. Excusez-moi. Mais je dois dire que pour moi ça sonne pareil. »

Oups. Je crois que je n'aurais pas dû dire ça. Le flic me fusille du regard. Il en profite pour prendre mon portefeuille et regarde mon passeport.

« Harry. Harry Shtaïle ».

« C'est Staïle, monsieur. »
« D'accord, monsieur Shtaïle ».

Je bous. Lui, ça a l'air de le faire marrer. Mais je ne peux plus me contenir.

« Écoutez, j'ai été maltraité pendant le vol par le personnel. Ils m'ont sauté dessus, maintenu attaché comme un vulgaire forcené. Alors que je ne fais que passer de la musique pour tenter de calmer un gosse qui m'importunait. Je veux porter plainte ! »

Le flic qui tient mes papiers me regarde.

« Oui, oui, monsieur Shtaïle. Ne vous inquiétez pas. Nous comprenons le grave préchudisse que vous venez de vivre. Vous allez nous suivre et vous pourrez porter plainte directement au poste de poliche.

-Il y en a pour longtemps ? Je dois dire que j'ai un autre vol à prendre, pour Sao Paulo. Je suis attendu sur place !

-Mais ne vous inquiétez pach, monsieur Shtaïle. Vous arriverez bien assez vite à Sao Paulo. Che ne sont que des formalitéchs.»

Heu. Il est obligé de rajouter des « ch » à toutes les sauces ? Heureusement que c'est un flic. Je ne supporterai pas qu'il continue à écorcher mon nom de cette manière ce malotru.

Il me fait signe de le suivre, et l'autre flic se place derrière moi. Parfait. Ils sont sympas en fait. Comme de vrais gardes du corps. C'est vrai, il vaut mieux d'ailleurs. J'ai plein de fans au Brésil. La dernière fois qu'on est venu faire un concert, c'était la folie. Toutes ces petites jeunettes qui se déhanchaient devant nous, pour qu'on les embarque avec nous. Limite si elles n'allaient pas commencer à se taper dessus pour être les premières et éclipser les autres. Les batailles de gonzesses, c'est rigolo. C'est pas comme les mecs qui évitent les points sensibles. Elles se battent vraiment, se griffent, se tirent les cheveux. Et tout ça pour moi. Hum, qu'il est bon d'être le roi du Staïle.

Ils me conduisent dans un dédale de couloir, loin de la foule. Je réitère ma pensée : ces flics sont vraiment sympas. L'agent avec son accent bizarre essaie de me faire la conversation.

« Vous êtes donc bien monsieur Shtaïle, de Sens Unique ? »

Ouf. Lui, au moins, me reconnaît. Pas comme ces hôtesses greluches qui n'y connaissent rien à la vie.

« Oui, oui, c'est bien moi ! »

« Ma fille adoooooorre ce que vous faites ! Elle n'arrête pas d'écouter tous vos disques. D'ailleurs, vous pensez que c'est possible d'avoir un autographe et une photo pour ma fille ? »


Pfff. Encore. Ils n'ont que ça en tête les bouseux. Comme si avoir un autographe ou une photo allaient améliorer leur vie. Enfin, s'il n'y a que ça qui peut lui faire plaisir, pour tous les tracas qu'il est en train de m'éviter, je pense que je pourrais bien faire l'effort.

« Si on arrive sans encombre et que je peux prendre mon prochain vol tranquillement, sans problème monsieur l'agent.

« Biench, biench », termine-t-il.

Pour finir, on arrive dans une sorte de commissariat, directement dans l'aéroport. C'est quand même bien pratique. Je pourrai reprendre mon prochain avion sans trop de soucis. Bon, il y a quand même quelque chose qui cloche. Pourquoi ne nous arrêtons pas aux bureaux ? Je dois déposer ma plainte fissa et repartir ! Non, il continue et s'engouffre dans un petit couloir.

« Par ichi, monsieur Shtaïle ! Chuivez-moi! »

Je n'aime pas la tournure que prennent les événements. On passe devant des cellules.On se croirait dans une prison du siècle dernier, où on laissait les pauvres types crever, sans rien. Il y en a une d'ouverte et me fait signe de rentrer dedans. J'y ai à peine mis les pieds que la barrière se ferme derrière moi.

« Cela vous apprendra les bonnes manières, Monsieur Shtaïle ! Résousse, Maria, Jospeh, qu'est-ce que je savoure ce moment ! Papa, achète-moi Sens Unique ! Papa, tu as vu comme il est beau Harry ? Et toutes ces chansons à la con, ces chansonnettes même pas originales du genre « je t'aime, mais tu ne m'aimes pas » ; « tu es trop belle Johanna ». Je ne peux plus. Vraiment plus. Franchement, avec vos esclandres dans cet avion, je ne pouvais pas rater cette occasion ! »

Il s'en va et me laisse seul dans ce semblant de cellule où il y a juste un trou pour faire ces petites affaires et une couverture à même le sol. Quel connard. J'ai beau hurler comme un beau diable, personne ne me répond. Et mon avion qui part dans cinquante-huit minutes...

Harry a du Staïle (reprise second semestre 2021)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant