8. Nine

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Il est environ cinq heures du matin. On est en marche vers le site du barrage. Je longe donc le fleuve, à pied, Tilia à mes côtés.

- Tu vas être contente, dis-je en croquant une pomme.

- Quoi donc ?

- Oz va venir aujourd'hui.

Elle baille :

- Cool...

- Vive l'enthousiasme !

Elle fouille dans son sac, tout en continuant de marcher. Puis elle sort une feuille de cigarette, et y met un mélange d'herbe et de tabac.

- Pas à cette heure là, Tilia !

- Bah si. On a le champs libre toute la journée.

- Y aura les flics au bout d'un moment.

- D'ici là, les effets se seront dissipés...

- Je pense pas...

Elle roule le tout, et allume le bout avec un briquet vert pomme. Puis elle tire deux taffes d'affilée.

- Pfff... Soupiré-je en mettant les mains dans mes poches.

Tilia vient à la manifestation juste pour pouvoir faire ce qu'elle veut, faire l'école buissonnière, fumer des joints et des cigarettes, gueuler, et "pécho du mâle" comme elle dit. Moi je viens ici dans le but de montrer les dents contre la société du barrage, de hurler ma haine envers ces pollueurs et ces tueurs d'animaux, de me dire que si le barrage nait, j'aurais au moins lutté contre.

On continue de marcher.

- T'en veux pas ? Me demande Tilia en me tendant son joint.

- Non. Tu sais très bien que je touche pas à ça.

- Tu devrais.

- Fumer un joint équivaut à fumer cinq cigarettes d'affilée, pour tes poumons.

- Rôh... N'importe quoi !

Je prends pas le temps de lui dire que c'est vrai.

Elle semble déjà planer. A cinq heures du mat'. Elle me désespère.

On arrive sur le site cinq minutes plus tard. Il y a déjà quatre autres personnes, écrivant des slogans sur des pancartes. "Le barrage, ça dégage !", "Trop d'eau sur le dos !", "Des animaux valent mieux que de l'eau !"

Je sors mon carton, le déplie et prends un bâton tombé à terre. J'écris "Le barrage ça dégage" au marqueur noir très épais, et scotche mon bâton derrière le carton. Tilia est déjà aller discuté avec un gars au cheveux bouclés bruns, qui semble lui aussi ne pas avoir pris que du pain d'avoine ce matin.

Très vite, nous sommes une vingtaine. Mais toujours pas d'Oz en vue. Je regarde un peu les nouveaux slogans. Celui le plus repris est "Le barrage ça dégage." Mais néanmoins, celui ci : "Vous êtes déterminé à commencer de creuser. Nous sommes déterminé à commencer de vous enterrer" reste sympa, quoiqu'assez violent.

Puis je vois un tee-shirt rouge dans mon champs de vision périphérique, alors que je me penchais pour ramasser une vis, signe des premiers travaux.

- Salut ! Me dit Oz.

- Salut ! Dis-je en me relevant.

Je regarde l'heure. Il est six heures trente :

- T'es pas venu hyper tôt.

- Je me suis réveillé tard...

- Pas grave.

Il regarde aux alentours.

- T'es venue seule ?

- Non, il y a Tilia, là...

Je marque un blanc en ne trouvant pas Tilia du regard. Je me reprends :

- Elle était là-bas...

- Etait... répète-t-il.

- Bon... Et sinon ? Paré pour la manif' ?

- Grave ! Dit-il en levant le poing.

Nous sommes désormais une cinquantaine de personnes. Mais toujours aucune trace de Tilia. Je cherche aussi le gars brun avec qui elle discutait, mais ne le trouvant pas, je me dis qu'ils sont ensemble à faire je-ne-sais-quoi, et je ne veux pas le savoir d'ailleurs...

Oz part devant les engins de construction.

- C'est moche... Dit-il...

- Bien d'accord, je réponds...

Il prend un caillou au sol, et le regarde.

- Tu fais quoi ? Demandé-je.

- Tu vois ce caillou. Ce sera mon souvenir de cette journée. Parce que je sais déjà qu'elle sera inoubliable.

Je trouve ce gars de plus en plus intéressant. Je m'approche de sa paume pour mieux distinguer le caillou. Il est gris, avec des tâches blanches qui suivent des lignes parallèles entre elles.

- Inoubliable...C'est le mot.

Puis un détail de notre conversation téléphonique me revient en mémoire.

- Alors comme ça tu fais de la méditation ? C'est amusant !

- Ah ! Dit-il en se grattant l'arrière du crâne. C'est que je suis bouddhiste, et pour atteindre l'Eveil, il faut pratiquer la méditation...

- L'éveil ?

- Ouais... C'est... euh... Une sorte d'état de conscience supérieure... Signe que tu as abouti ton chemin spirituel...

Je ris.

- Je comprends rien, à ce que tu racontes.

Puis d'un coup, je me rend compte de ce qu'il a dit :

- Tu es bouddhiste ?

- Oui... Enfin à peu près...

- Trop stylé...

- Tout le monde me dis ça, dit-il en se grattant à nouveau l'arrière de la tête.

Puis il glisse le caillou dans sa poche, et me demande :

- Tu as une pancarte toi ?

- Ouaip.

- Tu restes toute la journée ?

- Oui... Et toi ?

Soudain, le fait qu'il puisse partir plus tôt que moi m'attriste.

- Je pars vers onze heure...

- Oh... D'accord...

Je comprends pas pourquoi mon cœur se pince, ni pourquoi mes yeux ne peuvent s'empêcher de parcourir chaque parcelle du corps d'Oz.

Sous son tee-shirt et son short, il semble fin, et un peu musclé... Ses yeux bleus fixent les débuts des constructions du barrage. Sa tête est totalement imberbe, mais pour autant, ses jambes et bras restent assez poilus. Ses cheveux sont en bataille, et longs sur le dessus. Mais ils ne retombent pas sur ses yeux, ils restent à peu près dressés, ignorant la gravité.

Il est beau. Mais pas de façon universelle, tout le monde ne peut le trouver beau. C'est juste un ensemble de choses qui s'accordent et créent une certaines harmonie à mes yeux.

Jonas lui, il est beau, et tout le monde le dit. Il a de beau cheveux noirs qu'il coiffe élégamment, une petite barbe qu'il entretient. Il s'habille avec des vêtements choisis trois jours à l'avance.

Jonas c'est la recherche de la perfection. Oz c'est juste la perfection.

Et si je commence à comparer les deux, ça sent mauvais. Mais bizarrement j'ai pas peur de tomber amoureuse d'Oz. Il inspire tellement de respect et de confiance...

Ça doit être son aura bouddhiste.

- Eh, Nine ? Tu viens ? Ça a commencé.

Oz fait de grands mouvements de ses mains. Sans que je le remarque il s'était avancé vers la manifestation.

Alors je cours pour le rejoindre.

Dieu est un astronauteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant