Dieu est un astronaute

6. Nine

C'est pas ouf ce qu'ils nous ont fait ce soir au self. C'est la seule chose que je regrette de ma mère, quand je suis à l'internat : ses petits plats. Mais on a pas tout ce qu'on veut. Tilia me regarde manger :

- Tu veux ma photo ? Demandé-je sèchement.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Me demande-t-elle en souriant.

Tilia, c'est ma colocataire de chambre à l'internat. Je la connais depuis la seconde, et on se ressemble pas mal. Elle aussi est rousse (mais elle a les cheveux longs), elle aussi porte des vêtements très colorés, elle aussi sourit énormément et elle aussi fait des actions contre les malheurs du monde.

- Rien... Ça m'embête juste de sécher les cours pour aller au barrage demain. Ça va encore être une action de perdue, ils en ont rien à foutre de cinquante personnes râlant contre le barrage.

- Depuis quand notre Nine nationale s'inquiète de sécher les cours ?

- Non... C'est pas ça, c'est de faire une action pour rien qui m'énerve.

Elle me regarde, tout au fond de mes yeux.

- Y a pas autre chose ?

- Ne pas prévenir Oz m'embête aussi, lâché-en un murmure.

- Nous y voilà ! C'est qui cet "Oz ?" C'est son vrai prénom ? Demande-t-elle étonnée.

- Oui c'est son vrai prénom. C'est mon voisin de table à chaque cour.

- Et c'est parce que c'est un "camarade" que ça t'embête de ne pas le prévenir ? Y a pas un peu plus que de la camaraderie derrière ce besoin irrémédiable de lui dire où tu seras demain ?

- Qu'est-ce que t'insinues ? J'ai Jonas, je te rappelle !

Elle éclate de rire. Puis elle engouffre une fourchette de riz dégueu dans la bouche, et me dit :

- J'adore t'énerver. Mais si tu ne peux pas le prévenir, prend toi pas la tête avec ça !

- Faut que je lui demande son numéro, un jour...

Elle ne m'écoute plus. Elle est songeuse.

- Il ressemble à quoi ?

- Oz ?

Elle hoche la tête.

- Il a les cheveux noirs, des yeux bleus assez enfoncés dans ses orbites, une mâchoire marquée... Il a souvent un tee-shirt rouge. Oh, et il a les cheveux courts, mais il a une longue mèche avec laquelle il se fait une tresse, je trouve ça trop drôle. Mais il me dit qu'il va bientôt la couper ?

- Oh... intéressant. Tu sais quoi sur lui ?

- Pas grand chose... Il a deux amis : Yvain et Sylvestre. Il adore la physique... Il sait faire tourner ses stylos... Il est végétarien, aussi. Et il est hyper calme.

- Hum hum... Je vois pas qui c'est, tu me dis si on le croise ensemble un jour, d'accord ?

- Pas de soucis !

Et on continue de manger.

Le soir, je demande à des garçons de l'internat s'ils ne le connaissent pas. Puis l'un des leurs (Stéphane) me dit que oui. Je lui demande s'il a son numéro. Il me dit que oui. Je lui demande s'il peut me le passer. Il me dit que oui.

Je tape le numéro sur mon portable.

Trois sonneries, et il décroche.

- Allô Nine ?

- Euh.... Comment tu sais que c'est moi ?

Un petit blanc et il reprend :

- Personne ne téléphone pendant ma méditation, c'est que soit c'était urgent, soit c'était quelqu'un qui ne savait pas que je médite. Comme je ne connaissais pas le numéro, je me suis dit que c'était toi.

- Ah d'accord.

A nouveau un petit blanc.

- Pourquoi tu m'appelles ? Demande-t-il.

C'est vrai que de base, c'est moi qui voulait lui parler.

- Demain je vais manifester au barrage.

- Euh... D'accord... Et ?

- Et... ben je serais pas là en cour...

- D'accord... Et ?

- Et c'est tout.

- C'est tout ?

- Oui.

- Tu me dérange juste pour ça !

C'est étrange, à travers le téléphone, je n'arrive pas à savoir s'il est réellement indigné ou non. Pour éviter une situation embarrassante, je rajoute :

- Tu peux venir si tu veux !