Chapitre 1 : La veille du départ

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- Ada Boucdarov, c'est le nom de la première femme qui a gagné l'Epreuve de la Mare ! annoncé-je avec entrain.

- Mmm... lance vaguement Tanja.

- Et Sophi Fansec : deuxième femme ! Mais je crois que c'est tout de même Boucdarov qui a eu le plus de succès...

- Ah ouai...

- Non mais tu vas m'écouter oui ?

Surprise, ma soeur enlève ses écouteurs.

- Écoute Mila, c'est pas que c'est ennuyant tes histoires là, mais euh... ah bah si en fait.

- Je crois que je vais t'en coller une, dis-je en fonçant les sourcils.

- Les filles, à table ! crie mon père  depuis la cuisine.

- Allez boude pas, sort Tanja, comme si de toute évidence mettre de côté la victoire de la Femme quand il s'agit de l'Épreuve de la Mare est tout à fait acceptable !

Voyant que je m'oppose à lui rendre son sourire, ma jumelle me prend la main et m'attire à elle pour m'embrasser. Et évidemment, je me laisse faire.

- Je te déteste Tanja, dis-je en laissant échapper un sourire au coin des lèvres.

- Moi aussi Mila, moi aussi.

- Les filles ! Que je ne me répète pas !

- On arrive aita, on arrive ! crie Tanja depuis la porte de notre chambre.

Ma sœur s'apprêtant à sortir, je l'attrape par le bras et la tourne vers moi en posant mes mains sur ses épaules.

- Tanja, tu sais pourquoi je fais tout ça j'espère ? demandé-je avec gravité.

- Je le sais Mila, je le sais... Mais pas maintenant s'il te plaît, pas maint...

- Mais quand alors ? m'exclamé-je avec colère, Demain ? Quand tout aura commencé et que tu ne sauras même pas comment réagir quand la mare prendra couleur et forme? Tu ne sais pas ce qu'il va t'arriver...

Ma soeur me regarde avec mépris.

- Toi non plus ! crie t-elle.

- S'il te plaît Tanja, écoute moi... Nous devons tout faire pour que la Mare devienne verte, il le faut ! Nous devons... contrôler nos pensées, les comprendre, les...

- On ne peut rien faire contre la Mare ! » coupe sèchement Tanja. Ses beaux yeux gris virent à la tristesse. On ne peut rien contre la Mare Mila, c'est impossible et tu le sais. La Mare révèle tes pensées les plus intimes, les pires comme les meilleures. Elle va chercher au plus profond de toi. Elle ressent si tu es faible, fort, simple ou plus inquiétant d'esprit. Elle intercepte tes souvenirs, elle analyse et décide de ton sort.

Je regarde ma sœur, ébahi.

- Moi aussi j'aimerais que la Mare soit verte Mila, mais... Elle contrôle tout : les hommes... commence t-elle en regardant le sol.

- ... et nos vies, finit-elle sur un ton détaché, presque mélancolique.

Je crois que c'est la première fois que j'entend Tanja parler aussi sérieusement...

Soudain, aita ouvre la porte avec violence.

- Vous avez bientôt fini oui ? Votre mère vous attend je vous signale !

En descendant les escaliers, l'odeur du lièvre chaud emplit nos narines. C'est le « repas typique des grandes journées » dit mon père en souriant. Ama et aita ont fini de manger. Ama (qui veut dire maman dans la Contrée) fait la vaisselle et aita (appelation de papa) cherche sa pièce d'identité pour rentrer dans la Cité, qu'il a apparemment perdu...

- Mais bon sang, où il est passé ce maudit papier ? Je vais être en retard moi !

- Calme toi Teodor, dis ma mère en soupirant.

- Que je me calme... Que je me calme ?!

Papa a été embauché comme contrôleur dans la Cité. La Cité est une petite ville à l'apparence soit disant chaleureuse, et qui entoure le château du roi séparé par de grands remparts. La ville elle même est encerclée de remparts. Il y a deux cent ans que la Cité est ainsi cachée à la vue de tous. Seuls ceux qui y vivent où qui y travaillent ont connaissance de ce qu'elle réserve, comme mon père. En revanche, ceux qui ne font qu'exercer là-bas ont l'obligation formelle de présenter une pièce d'identité fournie par le Royaume, sinon impossible d'entrer.

- Ah ! La voilà ! déclare mon père avec joie après avoir retourné toutes les poches des vestes accrochées au porte-manteau. Bon j'y vais, à ce soir ! ajoute t-il, enfilant maladroitement une veste et attrapant une tartine qui traîne sur la table avant de s'en aller en vitesse.

Nous savons tous que la Cité a été crée à part, dans le but de servir aux demandes personnelles du Roi et que si celui-ci l'avouait ouvertement, cela créerait des révoltes dans toute la Contrée. Notre Roi Goran use beaucoup de cette liberté. Les seuls qui ne se rendent pas compte qu'ils sont utilisés sont justement les habitants de la Cité, car vivants sous son aile, ceux-ci ne manquent jamais de rien et ont même des privilèges que nous autres, le « reste » de la Contrée, n'avons pas.

Voyant que nos assiettes sont finies, ama nous propose de sortir dehors.

- Mais faites nous le plaisir d'arriver à l'heure pour dîner cette fois-ci, ajoute t-elle avant que nous sortions.

Ma mère n'est pas quelqu'un de très aimable. D'ailleurs, les embrassades n'ont jamais été son fort. Tanja et moi ne sommes surtout que les enfants de la maison dont il faut s'occuper. Aita est plus tendre avec nous mais travaillant tout le temps, ma sœur et moi avons été obligé de partager tout l'amour que nous avions à donner, l'une pour l'autre. Et c'est pour cela que nous sommes si proches.

Nous avons donc décidé de monter sur la plus haute colline de la Contrée, celle où nous adorons nous rendre car personne n'y va jamais et qu'elle est comme notre jardin secret. Arrivées en haut, Tanja s'assoit au bord d'un grand chêne tandis que je me couche dans l'herbe pour regarder les nuages défiler. Ma jumelle glisse ses doigts dans mes cheveux.
Je respire.













































































La MareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant