Chapitre 6 : Les elfes

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- Tanja Rodovan, annonce l'organisateur.

Brusquement, je me tourne vers ma sœur complètement paniquée. En regardant tous ces visages, j'en avais oublié que ma jumelle et moi devions nous aussi passer l'Epreuve. Mon père prend ma sœur dans ses bras, puis ma mère plus pudiquement.

Tanja me regarde, je tente un sourire mais je n'y arrive pas ; alors on s'enlace, et puis j'arrive tout de même à lui sortir que tout va bien se passer ; même si dans le fond, je n'en suis pas si sûre.

Tanja se lève. J'ai déjà peur. Ma sœur s'avance vers le programmateur avec lenteur.

Pourquoi est-ce que je ne lui prend pas la main pour la ramener vers moi ? Et pourquoi je ne l'empêche pas de faire un truc aussi dingue qui risque de nous séparer pour toujours ?

Je ne sais pas, alors je reste là, et je regarde mon autre moitié s'effacer dans les bois.

- Ça y est, elle y est ! annonce ma mère attentive, dont les doigts serrent énergiquement le bras de mon père.

Tanja est à genoux devant la mare couleur vert clair, et semble attendre quelque chose. Ses yeux inertes sont fixés sur le liquide. Au bout de quelques minutes, l'organisateur demande dans le micro à ce qu'elle accélère le mouvement.

Mon père me broie la main et j'en fais de même. Je ressens sa peur comme il ressent la mienne. Je n'ai jamais été aussi effrayée de toute ma vie, et lui non plus je le sais. Je vois les ongles de ma mère s'enfoncer dans la chair de mon père, mais cela ne semble pas le déranger.

Puis je reporte encore mes yeux sur l'écran. Je regarde Tanja, je crois qu'elle cherche un regard, le mien. Celui qui l'a toujours conseillé, voir ordonné pour tout et pour rien. Ce regard qu'elle déteste habituellement mais qu'elle désire tant maintenant. Et je ne peux pas lui donner ; je ne peux rien faire, et ça me tue.

D'un coup, sa tête plonge. Seuls ses cheveux blonds ramenés en couette sont encore perceptibles. Puis elle remonte.

Une minute... C'est tellement long. C'est en général la durée que prend la Mare pour décider dans quel camp doit aller tel ou tel individu.

Je suis là à compter les secondes ; de la sueur coule le long de mon front, je ne respire plus.

Soudain, un drapeau se lève. Je le vois s'élever et se refléter dans les rayons lumineux encore présents en cette fraîche soirée d'été. Une couleur, une seule qui peut changer toute ta vie.

- La Mare Verte !

Mon cœur cesse de battre. Mes parents se lèvent, sautent de joie et s'embrassent. Tous le monde est levé, crie, et applaudit la victorieuse. Je n'entend plus rien. Je regarde l'écran, Tanja elle même a l'air surprise du résultat. Puis son regard se pose sur une des caméras. Nous nous regardons (du moins c'est ce dont j'ai l'impression) comme ça pendant plusieurs secondes, et on sourit.

Tanja sort de la forêt, ma mère court vers elle et la prend dans ses bras avec ardeur. Je crois que je ne l'avais jamais vu comme ça avant. Mon père s'approche et encercle ma famille en répétant tout bas : « Ma chérie, mon amour... ». Puis, Tanja se défait de leurs bras et se jette à mon cou.

- Je te l'avais dis, lui dis-je la larme à l'œil. Je t'avais dis que tu t'en sortirais comme un chef.

- Allez les filles, venez ; il faut aller se rasseoir, dis mon père après plusieurs minutes, en voyant le regard agacé du programmateur.

Mais évidemment, à peine assis...

- « Mila Rodovan »

Mon père me regarde avec tendresse et m'embrasse avec un amour que je regrette de n'avoir jamais remarqué auparavant. Ma mère m'encercle de ses nouveaux bras chaleureux, et Tanja sourit en me disant que si elle a réussi, il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas mon cas.

La MareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant