Je me levai comme chaque matin vers quatre heure tremblante et en sueur, l'esprit embrumé par les enchaînements de cauchemars, qui obstruaient mes nuits.
« Bordel... C'est de l'acharnement... »Voilà un mois que j'occupais cette chambre luxueuse sans pouvoir y dormir plus de cinq heures. Mes rêves tournaient inexorablement aux massacres d'innocents dans les rues d'une ville gigantesque. Je n'y étais qu'une spectatrice impuissante, volant au dessus du paysage funèbre constitué de corps et de briques ensanglantées, pour ne me réveiller que peu après être descendue de mon perchoir.
Je me levai toujours ainsi, et épuisée, après avoir effectué ma routine matinale, je lisais quelques ouvrages d'histoire avant de me rendre à mes cours de langue et culture elfique, en abattant ma colère sur les pâtisseries préparées par les cuisiniers de palais. Je n'en avais parlé à personne pour éviter de trop attirer l'attention – j'ai en effet remarqué chez Jade une forte tendance à tout exagérer ainsi qu'une propension à mobiliser tout le pays dès que je lui intime une demande -. Cyryl ne me parlait qu'à peine, seulement à l’heure du dîner ou pendant nos entraînements à l'épée, et il passait le plus clair de son temps avec Fayline qui commençait alors à tenir ses premières discussions en langue commune.Assise sur un banc, je me questionnais sur mes réelles motivations. Chaque nuit dans mes songes, avant de me réveiller, j'entendais les paroles de Cyryl, ce jour où j'avais égoïstement défendu mes opinions racistes sans me soucier de mal que je pouvais faire. En effet, je les entendais clairement avant d’être submergée et dévorée par un raz de marée de bêtes humanoïdes à fourrure noire. Je m'agrippai au bord du banc pour me pencher en arrière, et fermai les yeux pour savourer les rayons solaires. En y réfléchissant j'avais toujours été sincère, j'étais heureuse d'avoir gagné cette course folle avec Cyryl et Hélian et la vie au Refuge me fascinait, tout le monde y semblait à sa place et heureux, mais j'étais aussi sincère quand j'ai reconnu haïr ce peuple. Cette haine fait parti de l’éducation que j'ai reçu, des horreurs que j'ai vu ou qu'on m'a compté, cette haine fait parti de la culture dans laquelle j’ai baigné. La haine est inscrite dans les gènes les plus primitifs de toutes les espèces : la haine de la différence, de l'infériorité, de ce qui nous semble laid ou irrationnel.
Voilà ce qui m’empêchait de dormir depuis un mois, la dualité de mes sentiments, le refus de l’évidence : J'aime les hybrides autant que je les haïs.« Heriel, nous ne te dérangeons pas j'espère ? »
J'ouvris les yeux nonchalamment et observai le visage courroucé de mon institutrice : une elfe blanche d'âge mûre, aux yeux vert perçant, ses longs cheveux blonds élégamment tressés sur son crâne.
« Je divaguais mais cette erreur sera rectifiée. Je te présente mes excuses, Erael.
- J'accepte tes excuses.
- Je te remercie. »Une bourge de noble sang, descendante lointaine des reines originelles; aussi fraîche et ravissante qu'un bouton de rose perlé de la rosée matinale et ce malgré son âge plus que respectable; une femme frivole et pourtant si sérieuse, se sentant née pour plus de luxe qu’elle n’en possède déjà; une enseignante remarquable dans sa rigueur, sa ponctualité, la véracité de ces discours, discours captivant pour un jeune elfe en manque de savoir, mais somnifère puissant pour moi qui ne faisais que compter les heures et prenant docilement des notes. Erael était tout cela. Je l'observais parfois avec fascination, espérant un jour être observée avec tant de fascination, par une foule encore plus colossale que celle qui la contemplait continuellement: ses élèves, ses amants, ses amis, ses collègues,... J'espérais moi aussi attirer l'attention par mon physique ainsi que par mes talents, nombreux je l'espérais - quand j'y pense maintenant j'étais bien sotte vous ne trouvez pas ? -.
Quand Erael effaça minutieusement les fines lettres elfiques sur son tableau d'ardoise, je rangeai mes carnets de note et me levai. Une seconde de plus et elle tapa dans ses mains faisant tinter les clochettes de son bracelet de dentelle.
Les cours maintenant terminés, je partis sans plus traîner pour me rendre, lasse, au terrain d'entraînement. Comme chaque jour, j'attachai mes cheveux en un grossier chignon, attrapai une épée de bois et rejoignis Cyryl au fond du terrain. Je lui adressai un signe de main en approchant:
“Salut !
- Bonjour, Altesse”
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L'Ordre de l'Hydre [EN COURS]
FantasyIl paraît que les rêves sont une fenêtre vers une vie antérieure ? Est ce que vous y croyez ? Croyez vous en ce récit ? Deux siècles après la guerre du Topaze, les conflits raciales continuent de menacer la paix fragile entre les continents. Suit...