after june 1944, the 6th

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Daisy était en train de nettoyer sa soeur avec le fond d'eau qui restait dans le seau. L'éponge noire venait salir encore plus la peau autrefois de porcelaine de Ruby.

— Quand est-ce que Papa il revient ? C'est long son voyage...

La brune réprima un grand sanglot. Elle savait très bien ce qui était arrivé à son père : peut-être qu'il allait revenir, ou pas, mais en tout cas, elle savait qu'il était changé à jamais.

Ce ne serait plus le même Jeffrey Dean Morgan, le même Papa : ils étaient tous changés par cette foutue guerre.

Et les soldats malheureux qui revenaient du front étaient hantés par des cauchemars qui les consumaient.

Cela entraînait la folie, et la plupart du temps, la folie se transformait en suicide.

Voilà comment ces victimes des égos sur-dimensionnés des grand dirigeants politiques finissaient.

— Aïe Daisy, tu me fais mal, arrête de frotter aussi fort s'il te plaît.

— Pardon, j'avais l'esprit ailleurs.

— Avec Papa ?

— Bien sûr, mon esprit est toujours avec lui.

— Daisy, est-ce qu'un jour on aura de nouveau de l'eau dans la salle de bain, comme on veut ? Et puis est-ce qu'on pourra manger du chokélat ?

— On en a de l'eau à volonté, mais je veux soutenir les populations qui, elles, n'ont pas cette chance. Et c'est chocolat, articula Daisy en souriant. Oui on aura tout ça de nouveau, et puis je...

Sa phrase fût coupée par un cri strident et des gémissements. Des milliers de scénarios étaient en train de s'écrire dans sa tête, elle fit tomber l'éponge aux pieds de sa petite soeur et la tourna vers elle en lui donnant une serviette :

— Je veux que tu restes ici sans bouger une seule seconde. Si tu bouges, tu perds un bonbon ce soir !

— Oh non, je ne veux pas perdre un bonbon ! J'en ai déjà perdu au moins quatre...

Daisy n'attendit pas que sa soeur termine sa phrase et fila en direction des cris stridents. C'était assurément ceux de sa mère. La mort de son père se faisait petit à petit un chemin dans sa tête et elle était prête à l'accepter, mais si sa mère y passait aussi, elle n'était pas sûre de pouvoir y survivre.

Elle enjamba le tabouret devant le poste de télévision et n'eut pas besoin d'ouvrir la porte d'entrée. Daisy vit sa mère sur le sol du perron, une lettre entre ses mains et deux hommes en uniformes en sa compagnie, tentant de la relever par tous les moyens.

— Dégagez-vous de là, si c'est de cette manière que vous aidez une femme en détresse, n'allez surtout pas dans les hôpitaux en tant que bénévoles. Trouducs, grogna-t-elle entre ses dents.

Daisy savait pourquoi ces deux policiers étaient sur leur perron. Cette situation était arrivée à son petit ami, et à sa meilleure amie.

Elle prit sa mère dans ses bras en la serrant au plus près de son coeur. Elle ne pût la calmer. C'était impossible.

— Maman, je suis là. Je suis là, chut, calme-toi s'il te plaît. Il ne faudrait pas effrayer Ruby, pas vrai ? Elle n'a que cinq ans tu sais, te voir pleurer comme ça, ça l'a marquera à vie.

Daisy passa une main dans les cheveux de sa mère tandis qu'une larme solitaire faisait son chemin sur sa propre joue. Oui, elle s'était fait ce scénario pleins de fois dans sa tête, des millions même. Le soir quand elle était seule face à son plafond. Le matin quand les rayons du soleil ne réussissaient même pas à calmer des sanglots déchirants. Se réveiller, avoir un moment de flou, et tout se souvenir la minute d'ensuite.

Ce scénario avait été fait, et refait. Toutes les conséquences possibles, toutes les possibilités. N'importe quelle personne apportant le papier. Peut-être le maire, sa grand-mère de l'autre côté du village, sa meilleure amie, son petit ami.

Mais rien n'est prévisible dans la vie.

On peut se préparer à n'importe quel événement, on ne saura jamais vraiment comment réagir devant le fait accompli, car malgré avoir tenté de la prendre par les cornes et diriger l'opération, elle n'a jamais été vécue.

Et seul le vécu compte.

— Maman je t'en supplie, relève-toi. Ruby va nous voir. Maman, je t'en supplie, relève-toi. Maman, s'il te plaît. Maman !

Les policiers regardaient cette scène qui arrivait chaque jour. Chaque jour, une nouvelle dizaine de portes à toquer, et une dizaine de personnes voir s'effondrer au sol.

Que ce soit les parents qui aient perdu leur fils, les mamans ayant perdu leur mari, les enfants ayant perdu leurs grand frères ou leur papa.

La même douleur.

— Pourquoi Maman tu pleures et tu défailles ? Qu'est-ce que c'est cette lettre que tu as dans ta main ? Elle ressemble à celle que Papa a reçu pour son voyage.

Daisy se figea et délaissa sa mère un petit instant pour regarder sa soeur dans ses yeux.

— Ruby, ce n'est pas facile ce que je vais t'annoncer, mais je veux que tu sois une petite fille forte. Comme Papa l'est, comme Maman et moi nous le sommes. Ce n'est pas définitif, et tu le reverras un jour, c'est promis, mais pas ici, pas maintenant. Papa est mort, car il a sauvé la France, il a sauvé des millions d'enfants comme toi. Tu sais ce que ça fait de Papa ? demanda Daisy à sa petite soeur tandis que des larmes silencieuses coulaient sur ses joues encore sales. Ça fait de Papa un Héros, ceux des bandes dessinées.

— Papa... est un... héros ? sanglota Ruby alors qu'elle s'approchait doucement de sa mère et de sa grande soeur.

— Le plus grand des Héros, avec un H majuscule !

Ruby sourit tristement et se mit à pleurer dans le petit cercle des femmes endeuillées. Les policiers s'en allèrent, ils savaient que leur rôle avait été rempli. Aider à faire son deuil ne faisait pas parti du rôle.

— Un Héros... chuchota doucement Daisy comme pour se rassurer.

dear father, wwii (✓)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant