Nous n'aurons pas besoin de parler de toi, je suis heureuse que ce soit elle qui m'ait trouvée, secourue, nous étions déjà liées, et nous sommes deux sans généalogie venues sur le Continent en quêtes d'elles-mêmes, nous sommes celles qui mettent au monde leurs ancêtres par l'imagination, la projection, celles qui redéfinissent l'ancestralité, rien ne nous manque, ce que nous cherchons est en nous, je me demande ce qu'elle en pense, serait-elle d'accord, nous aurons cette conversation plus tard, je lui dirai que les racines ne sont pas tout, qu'elles ne sont pas sans ce qu'elles engendrent, et que la graine devient racine, la senteur humifère de sa peau fait naître en moi cette réflexion que l'arrivée d'une autre femme interrompt, elle se joint à Amandla, je l'entends dire Ma soeur je prends les jambes, et ceci est un miracle, un fort heureux présage, ces deux femmes qui me soutiennent, unissant leurs forces pour me tirer des eaux assistent, sans en avoir conscience, au premier jour de ma vie, je ne suis pas inquiète du lieu où elles me mènent, j'ai confiance, je me remémore l'incipit d'un roman de Shange, des mots qui font sourire mon coeur, Where there is a woman there is magic, j'ai lu cela il y a des années, je me suis dit bof, cela ne m'impressionnait guère, cela me contrariait même un peu, ces femmes qui en faisaient tout un plat de leur féminitié, comme si c'était un truc spécial, je voyais ma mère, je me voyais moi et ne comprenais pas, à présent je sais qu'il a y a du vrai, pas au pied de la lettre, pas toujours pour le meilleur, mais il y a du vrai, le texte disait aussi qu'il fallait connaître sa propre magie pour la rendre effective, j'irai débusquer la mienne.
Crépuscule du tourment, Léonora Miano.
