Graal (BxB)

Chapitre 19

Dis-moi Nathan, te souviens-tu ? Te souviens-tu de cet été là ? Oui, cet été tout particulier. Cet été où tout s'est passé...T'en souviens-tu ?

Moi je m'en souviens et je m'en souviendrais certainement toute ma vie.

Sais-tu pourquoi ?

Parce que, je crois, que c'est durant cet été-là que je suis tombé amoureux de toi.

C'était bien plus qu'un coup de foudre. Bien plus qu'une amourette de jeunesse.

C'était juste la conclusion de tout ce que j'ai toujours éprouvé pour toi.

Et c'est durant cet été que toi, ignorant ou pas, tout ça, tu as tout piétiné.

Je t'en ai voulu, tu sais ? Et je t'en veux certainement encore un peu. Je suis un garçon rancunier, mais au fond, je ne suis qu'un garçonnet brisé.

Dis-moi Nathan, te souviens-tu ?

« - Antoine ! Tu as fini ?

- Non attends, je mets le dernier piquet et j'arrive !

- Dépêche-toi ! Les autres sont déjà partis sans nous.

- Tu sais que tu n'es pas obligé de m'attendre ? Si t'es si pressé toi, vas-y ! »

Il ne m'aide même pas. Il se contente de rester planté devant moi, excité tandis qu'au loin on entendait les cris de joie.

C'est la deuxième fois que Nathan et moi nous nous retrouvions dans une même colonie pour les vacances.

« - C'est bon ?

- Ouais, j'arrive. »

Je venais tout juste de réussir à planter le dernier piquet de ma toile de tente et j'eus ce petit sentiment de satisfaction. Je n'ai jamais réussi à mettre une toile de tente correctement, sauf cette fois.

J'attrape alors ma serviette dans mon sac et me mets en route vers la rivière aux côtés de Nathan.

« - Vous en avez mis du temps les gars ! Aller, le dernier à l'eau se tapera les corvées des autres ! »

Ah. Merde.

Tout le monde se précipite et je fais mine de suivre le mouvement, m'arrêtant dès que mon gros orteil effleura la surface de l'eau. Faisant mine de me mouiller la nuque, tout le monde, déjà dans l'eau, me regarde hilares.

« - Bah alors Antoine ? T'as eu un souci ?

- Hein ? Ah non, non...Je me mouille la nuque c'est tout ! C'est vachement important de se mouiller la nuque ! Vous ne pensez jamais à l'hydrocution ? »

Ils éclatent de rire d'autant plus fortement comme si je venais de raconter la dernière vanne du siècle.

Pourtant, moi, je ne ris pas.

Je ne sais juste pas nager.

Plus tard dans la soirée, assis au bord de la rivière, seul, j'imaginais toutes les corvées sordides que j'allais devoir faire en guise de punition d'avoir été, non pas le dernier à l'eau, mais de n'y être tout simplement jamais entré.

« - À quoi tu penses ? »

La voix de Nathan me surprend. Il était assis juste à côté de moi, les jambes tendues dans l'eau.

« - Depuis quand t'es là ?

- Assez longtemps. Quand est-ce que tu allais m'en parler ?

- De quoi ?

- Tu sais très bien de quoi je parle.

- Non...

- Tu ne sais pas nager n'est-ce pas ? »

Je le détestais ou tout du moins détestais cette façon qu'il avait de toujours tout deviner. Me sentant honteux de ne pas savoir nager à mon âge, je fais mine de regarder ailleurs, balançant un galet dans l'eau.

J'ai l'impression qu'il va se moquer de moi.

Pourtant, il garde cet air neutre, plongeant ses yeux vers le ciel étoilé.

« - Si tu veux...Je peux t'apprendre. »

Pouvait-il ?

« - Tu veux bien ?

- Bah oui ! Comme ça, tu viendras avec nous dans l'eau la prochaine fois. Mais je ne suis pas un très bon professeur...Mais avec un peu de chance, tu sauras au moins flotter.

- D'accord ! D'accord ! Apprends-moi ! »

J'étais enthousiaste. Peut-être même trop.

Mais à qui la faute ? Je n'ai jamais eu la chance d'avoir des cours de natation dans une piscine, tenant tant bien que mal une perche qu'un vieux maître-nageur me tendrait.

J'eus le droit alors à mes premiers cours, bien que nocturne, de natation avec Nathan.

« - Mets-toi sur le dos.

- Mais l'eau elle va rentrer dans mes oreilles...Et si j'attrape une otite ?

- Tu ne risques rien...

- Et si je coule ?

- Je te tiens...Regarde. »

Il avait ses mains en dessous de mon bassin, comme s'il me maintenait hors de l'eau. C'était un peu gênant de savoir que Nathan me tenait dans ses bras, mais c'était rassurant.

« - Détends-toi.

- C'est plus facile à dire qu'à faire ! »

Pourtant, j'ai appris à nager. Avec lui. J'ai réellement appris à nager. Je ne serais jamais champion olympique, mais je me débrouille. Juste assez pour barboter.

On avait alors 10 ans.

« - Dis-moi Antoine...Toi et moi...on est amis n'est-ce pas ?

- Bien sûr qu'on est amis. Pourquoi ?

- Non...Comme ça. Et si un jour ça changeait ?

- Tu veux dire...Si un jour on n'est plus amis ?

- Pas vraiment plus « amis » mais « autre chose ».

- Autre chose comme quoi ?

- Je n'en sais rien...Mais plus que des « amis ».

- Tu me poses des questions vraiment bizarres Nathan...

- Ahahaha ! Je sais, mais je me demande si un jour toi et moi on changera.

- Hmmm...Peut-être ! »

Couchés l'un à côté de l'autre, la tête en dehors de la toile de tente, les yeux rivés vers les étoiles.

À cette époque je n'imaginais pas, pas même de loin, que les choses changeraient ainsi. Que les évènements en eux-mêmes nous amèneraient à devenir ainsi lui et moi. Nous étions amis, mais au fond, chacun de nous rêvait d'autre chose.

Et ce rêve bien que « commun » est sans doute celui qui nous a séparés. Éloigné.

Dis-moi Nathan, te souviens-tu ?

Te souviens-tu de cet été-là ?

Celui où tu m'as dit que je n'étais rien pour toi.