Chapitre 23

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Ils y sont passés un par un. Chacun avec une nouvelle idée. Une nouvelle méthode. Une nouvelle expérience à mener. Ils sont venus à moi, chacun avec ce visage à moitié défiguré par la folie. Ils sont venus parfois seuls, parfois à plusieurs et ils se sont amusés. Même lointains, leurs rires résonnaient en moi. Tel un écho me hantant.

Je n'ai pas compté le nombre de fois où j'ai été torturé. Frappé. Battu.

Je n'ai pas compté le nombre de fois où ils m'ont demandé d'exaucer leur vœu.

J'ai perdu le compte. J'ai perdu le fil du temps. La notion de ce dernier. Depuis combien de temps étais-je ici ?

Personne ne vient pour moi. Personne ne vient me sauver. Personne ne semble s'en inquiéter. Ainsi la guerre était-elle décidée ? Me livrer à mon sort ?

Me laisser là.

M'abandonner.

Encore.

Je me suis senti trahi.

Blessé.

Plus que dans la chair, c'est à l'intérieur que ça me faisait mal. Vraiment mal.

Alors pourquoi continuais-je de prier en silence ? Pourquoi continuais-je d'y croire, les larmes aux yeux ?

Pourquoi pensais-je qu'ils viendraient ?

Ils ne viendront pas, n'est-ce pas ?

J'entends par moment la porte s'ouvrir. J'entends les pas. J'entends la respiration lourde. Le rire détraqué.

« - Il est encore en vie.

- Tu crois ? Cela fait un moment qu'il ne bouge plus.

- Non...Il respire. »

Respirer. C'est bien la seule chose que je suis encore capable de faire. Je n'arrive pas à bouger un doigt. Un orteil. Un muscle.

Je n'arrive à rien.

« - Peut-être devrions-nous nous arrêter là ? Tu ne crois pas Talia ?

- Pourquoi y'a-t-il fallu que le Graal se terre dans un corps humain ? Tsss ! Cela nous complique tout ! Fais-la venir. Qu'elle s'occupe de lui.

- Pourquoi faire ?

- Si on le laisse crever, on sera bien dans la merde. Tu veux qu'elle nous tombe dessus ?

- Non...

- Bon eh bien bouge ton cul. »

Par moment, mon esprit semble jongler entre deux mondes. Par moment, il m'est difficile de rester connecté à la réalité. Par moment, je me terre dans ce monde obscur, là où rien ne m'atteint.

Là où rien ne me touche.

Alors, je me laisse aller. Je me laisse couler. Je me noie dans ma propre détresse. Dans ma propre impuissance. Était-ce ça la « guerre » ? Était-ce là toute l'atrocité dont pouvaient faire preuve ces êtres ?

« - Il faut que tu vives. »

Tel un murmure, ces mots m'ont atteint malgré les ténèbres. Une voix chaleureuse et douce.

Une voix qui nous berce et nous réconforte quand on l'entend.

« - Accroche-toi. »

Plusieurs fois je l'ai entendu. Dans des moments brefs, trop brefs à mon goût, mais plusieurs fois je me suis accroché à ces quelques mots que l'on me murmurait.

Quand je fus capable de revenir à moi, je vu un maigre sourire dissimulé derrière de courts cheveux bruns. Un visage faussement souriant. Un visage profondément marqué par les coups. Je vu des mains scintillantes d'une lueur blanche, telle cette fameuse lumière que l'on voit avant de rendre notre dernier souffle.

Était-ce un ange ?

« - Qu..Qui es-tu ? »

Ma voix est faiblarde. Cassée. Brisée.

Brisée par les cris. Brisée par la détresse. Par le chagrin. La terreur.

« - Chut. Il faut que tu te reposes. »

J'avais peur, mais pas de cette fille. J'étais terrifié, mais cela ne venait pas d'elle.

Qui est-elle ?

Elle pose ses deux petites mains, tremblantes, sur mes épaules, m'obligeant à me recoucher, et ce, sans effort. Mon corps se plie à sa volonté tel un roseau obéissant au vent.

Nous n'avons que des échanges de regards timides.

Mes yeux se promènent sur elle. Sur son corps battu comme le mien. Sur ses marques faites au fer rouge que je ne connaissais que trop bien à présent. Sur ses poignets portant des chaînes. Sur ses chevilles bleutées.

Elle fut, pour la première fois depuis longtemps, ce qui me semblait être une apparition.

« - Vas-tu me sauver ? Me libérer ?

- Chuuut. Tu parles trop. Préserve-toi.

- Pourquoi ne me réponds-tu pas ?

- Parce que toi seul peux te sauver. »

Était-ce censé m'aider ? Me réconforter ? Me donner confiance ? Me faire croire en une force mystique demeurant en moi ?

Une force mystique...

« - Tu es puissant...Puisse ta force en cela. Tu n'es pas un objet...Toi aussi, tu es un sorcier. »

Délirais-je au point de m'imaginer ces paroles ? La folie m'avait-elle contaminé l'esprit ?

Qui était-elle ? Pourquoi me disait-elle tout ça ?

Me connaissait-elle ? Que savait-elle sur moi ?

« - Repose-toi. Ils reviendront pour toi. Ils reviendront encore et encore. N'ayant jamais de cesse de te tourmenter, de t'infliger le pire...Ils voudront que tu craques...Ne craque pas. Jamais. Tout repose sur toi. Cette guerre, elle n'est pas pour toi...Elle est pour ta liberté. Ne les laisse pas t'imposer un maître...Deviens ton propre maître. Sois libre. »

Et d'un geste de la main sur mon front, elle m'endormit comme si de rien n'était. Rien qu'avec sa voix. Rien qu'avec ses mots. Ses mots qui s'ancrèrent en moi. Ses mois qui me troublèrent.

Jamais encore on ne m'avait parlé ainsi. Jamais encore on ne m'avait dit ceci.

Je me rappellerais alors de son visage. Du son de sa voix. De son contact sur ma peau meurtrie. Je me rappellerais de son souvenir s'étant marqué dans mon esprit.

Dans mon cœur.

Je me rappellerais de cette apparition que j'ai eu, celle d'un ange captive de l'enfer, tentant tant bien que mal de me faire réaliser que personne ne viendra pour moi. Que la guerre ne se fera pas sans moi. Qu'ils n'ont pas besoin de « moi ».

Je me rappellerais de cette voix qui me murmurait dans mon sommeil : Libère-toi.

Graal (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant