Dialogues des morts (Partie 1)

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Ça ne vous a jamais fasciné d'imaginer tous les morts du monde et de tous les temps qui seraient assis dans le même salon ?

De quoi pourraient-ils bien discuter ?

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L'autre jour, j'étais avec Vanessa sur le parking du collège. On discutait, tranquille. Elle me racontait que Chloé trompait Tony avec Luka et que, quand ça se saurait (parce qu'au collège tout fini toujours par se savoir), ça allait foutre un beau bordel. Nous, ça nous faisait marrer, parce qu'on ne traînait ni avec Chloé ni avec Luka. Ce serait certainement pas de notre bouche que Tony allait apprendre la vérité. Rentrer dans ce genre d'histoire, c'était pas notre trip. C'était encore un truc à n'en plus finir.

Enfin bref. On était là, on discutait, on faisait de mal à personne et puis d'un coup, un grand choc. Un « bam » un peu osseux et moi, j'ai vu une grande lumière. J'ai rien compris, c'est pour ça que je pourrais pas mieux vous expliquer. On était sur le parking, on parlait, et puis « boum », avec une grande lumière. Tout s'est terminé.

Après la grande lumière, j'ai vu un immense portail (genre que tu peux pas passer par dessus) des nuages et un barbu devant un bureau, qui remplissait des papiers.

J'étais morte.

Bon, alors, yen a qui en font toute une histoire de la mort, tout ça. Moi, j'ai pas vraiment souffert, parce que ça s'est terminé très rapidement. Pis j'ai pas eu le temps de laisser beaucoup de regret non plus, je suis morte à 13 ans. Enfin si, j'en avais un quand même, c'était de pas voir Chloé s'expliquer avec Tony devant tout le collège. Elle allait avoir la méga honte et elle l'aurait bien mérité. Si elle n'aimait plus Tony, il fallait lui dire. Ça se fait pas de tromper les gens comme ça.

Enfin bref, ça ne sert plus à rien d'en parler, parce que je suis morte. Au début, j'avais pas compris ça, c'est le barbu devant le grand portail qui m'a expliqué. Je me disais :

« Ouais, génial, c'est comme dans les romans, tu vas devenir l'héroïne méga-importante et tout. On t'as enlevé de ton existence mortellement ennuyeuse pour te faire voir une académie ultra-secrète où tu vas pouvoir développer des pouvoirs surnaturels ! »

Mais en fait non.

Le barbu (il m'a dit son nom mais j'ai oublié) m'a expliqué que j'étais morte, qu'il était désolé et qu'il allait me poser des questions pour savoir si j'avais le droit d'entrer au Paradis.

Bon, je vais pas vous mentir. Le Paradis, c'est une chose très vague pour moi. J'en avais entendu parler, parce qu'il y a un mec bizarre au collège, Pierre-Henri, qui est cadolique et qui parfois disait qu'on faisait des trucs qui nous emmèneraient en Enfer... Genre... heu... pas écouter les profs ? Je sais plus, je l'ai pas écouté jusqu'au bout. M'enfin personne ne l'a jamais vraiment pris au sérieux. Moi, Dieu, je m'étais jamais posé la question et même devant les portes du Paradis, il me faisait pas plus peur que ça. C'était un peu comme à la rentrée et qu'on change de classe et de prof principal. On voudrait qu'il soit sympa, mais ça veut pas dire qu'il mettra pas des contrôles. Je savais que l'Enfer c'était pas cool et tout, mais je savais pas non plus vraiment pourquoi le Paradis, il fallait que ce soit mieux.

À vrai dire, j'ai un peu laissé le barbu décider pour moi.

Il m'a demandé si j'aimais beaucoup l'argent, et si j'avais désobéi pour en avoir ou pour obtenir des choses chères ou rares. Je lui ai demandé si piquer des bonbons dans le bocal interdit de la cuisine ça comptait, il m'a dit non.

Après, il m'a demandé si j'aimais manger beaucoup beaucoup et si je pouvais me rendre malade juste pour le plaisir de manger. C'était bizarre comme question, parce que, bon, j'aime bien le repas de Noël, avec la bûche et tout, mais faut pas exagérer non plus. Ça sert à quoi de manger de la bûche pour la rendre ensuite ? Le barbu a pas très bien compris mon explication je crois, il était un peu dégoûté par le vomi de la bûche de Noël, alors il est passé à la question suivante.

Il a voulu savoir aussi si je me sentais plus importante que tout le monde. Bon, alors, c'est vrai, je peux pas mentir, c'est vrai que, des fois, quand même, je me sentais plus intelligente que Chloé, mais en même temps, moi, j'ai eu 15 l'autre jour à la dictée, et elle 5, alors bon... et puis ses histoires avec les garçons, hein... Par contre, je me mesurerais jamais à mon prof de maths, M. Texier. Vraiment, lui, respect. Il nous fait faire des trucs de ouf', mais il explique tellement bien et pis il se fâche pas ou quoi quand on lui dit qu'on a rien fait ! Le barbu en avait un peu marre de mes potins sur le collège, alors il m'a demandé si je connaissais l'orgueil. J'ai dit non (parce que j'étais pas sûre de la définition du dictionnaire) et il a hoché la tête.

Il m'a demandé encore si j'aimais partager. Avec ma petite sœur, jamais, parce qu'elle me piquait tout le temps mes affaires et puis elle me les rendait jamais. Avec Vanessa par contre, j'ai échangé pas mal de trucs. Pour son anniversaire, je lui avais offert un pull à moi que j'adorais trop mais qu'elle avait pas réussi à avoir parce que sa mère était pas d'accord. Le barbu a soupiré, et m'a annoncé que je n'avais pas l'air d'être avare. Bon, moi, comme j'en avais aussi un peu marre de raconter ma vie à un mec que je connaissais pas, j'ai pas trop insisté.

Il allait poser une autre question et puis il m'a bien regardée de la tête aux pieds et il a fini par demander : « Est-ce que ce qui se passe au-dessus des genoux et en-dessous des hanches, ça t'intéresse beaucoup ? » Je suis devenue rouge comme une tomate, parce que je savais exactement de quoi il parlait. Je lui ai dit que Karim me plaisait bien, mais il avait déjà une copine, alors j'attendais qu'ils cassent pour lui faire ma déclaration, mais que, quand même, j'étais pas encore bien sûre... Le barbu a souri (c'était pas très gentil, d'ailleurs, moi j'étais trop embarrassée) et il n'a pas insisté. Sur ce coup-là, je me suis un peu sentie sauvée. J'aurais pas aimé qu'il me demande plus de détails.

Et puis à la fin (c'était la question la plus embarrassante), il m'a demandé si je croyais en Dieu. Là, je l'ai regardé avec deux yeux ronds comme des billes, comme la fois où la prof de français m'avait demandé c'était quoi la différence entre un COD et un Comachin je me souviens plus quoi, et que j'en savais rien du tout.

Le barbu m'a dit que derrière le grand portail, c'était le Paradis et que pour y entrer, il fallait croire en Dieu.

— Et si je sais pas, je fais quoi ? je lui demande.

— Je vais devoir t'envoyer en Enfer, si tu ne sais pas.

— Je vous dirais bien oui, pour vous faire plaisir, et puis parce que le Paradis, j'ai entendu dire que c'était mieux que en Enfer, mais avant, je voudrais vous poser une question... Je peux ?

— Oui, bien sûr.

— Si on va en Enfer, c'est qu'on a fait, heu... des trucs que Dieu aime pas, c'est ça ?

— Oui, tout à fait.

— Bon et alors... Si on va en Enfer, c'est qu'on sait qu'on a fait des trucs que Dieu aime pas ? Ou alors c'est vous qui expliquez aux gens ce qu'ils ont pas fait bien ?

— Les gens savent, d'ordinaire, pourquoi je les envoie en Enfer, oui. Ils reconnaissent leurs fautes, même si ça ne leur plaît pas toujours.

— Mais alors, je suis pas sûre de comprendre... pour aller en Enfer et recevoir la punition de Dieu, est-ce qu'il ne faudrait pas que je croie quand même en Dieu ?


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Les moulins se poussent avec de l'eau.

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Des tiroirs qui débordentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant