Cette folle soirée du 6 mai 2007 restera malgré tout dans ma mémoire comme l'un des plus incroyables moments de ma vie. Il est 20 heures, la France découvre le nom de sa première Présidente, je ne peux m'empêcher de verser une larme. Je serre fort dans mes bras Jean-Louis Bianco et François Rebsamen, mes deux talentueux directeurs de campagne qui me suivront d'ailleurs à l'Élysée. Rapidement mes enfants entrent dans la pièce, dans ce petit bureau de la rue de Solférino. Les larmes coulent encore. Je prends un instant, malgré l'agenda très chargé qui m'attends désormais, pour m'isoler dans un cagibi avec Flora, ma petite dernière. Encore au collège, je sais que ma victoire risque de bousculer radicalement son quotidien. Sa vie va devenir plus compliquée avec un agent du service de protection des personnalités qui la suivra dans toutes ses sorties... Malheureusement, ce moment d'intimité devenu bien trop rare entre elle et moi est encore une fois coupé. Patrick Mennucci entre dans la pièce et m'annonce que Nicolas Sarkozy est au téléphone. Mon adversaire me félicite, dignement. Je lui rappelle que malgré l'affrontement terrible qui venait de nous opposer durant plusieurs mois, je lui porte beaucoup d'estime.
Seulement quelques minutes après, je regarde à la télévision son discours de défaite, qu'il donne salle de la Mutualité. Il a le regard vide, les commentateurs diront humide. Sa voix décroche par moments. J'apprendrais par la suite que Cécilia n'a même pas pris la peine de rejoindre le siège de l'UMP ce soir là, et qu'elle est déjà entrain de décoller à bord du jet de son amant pour une destination ensoleillée.
Je pense d'ailleurs à François. Où est-il ? Mon grand fils, Thomas, n'arrive pas à le joindre par téléphone. Je regarde par la fenêtre. Mon dieu quelle foule ! J'y suis habituée désormais mais cela reste toujours impressionnant...
Ma jeune assistante Najat Belkacem m'annonce qu'il est temps pour moi de rejoindre l'apéritif qui est donné en mon honneur dans la salle de presse. La plupart des éléphants du parti sont présents, à la différence de ceux qui pavoisent à la télévision. Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de sourire en voyant à TF1 la mine déconfite de Laurent Fabius ! Mon ancien adversaire à la primaire me voue depuis longtemps une rancœur tenace, que je lui rends bien.
Lorsque je descends le grand escalier de Solférino, le silence se fait. J'aurai préféré quelques applaudissements ! Jack Lang finit par rompre le malaise en lançant un tonitruant ''Madame la présidente !''. Je salue les uns et les autres. Tout cela m'ennuie... Ma seule volonté est de rejoindre le public qui scande mon nom. Soudain je sens une main dans le dos. C'est DSK.
- Ségolène, il faut qu'on se parle rapidement.
Il s'agissait d'avantage pour lui d'intimer que de proposer... Après une demie seconde d'hésitation, je lui propose de nous rencontrer demain après-midi au QG de campagne.
Je suis un peu interloquée, mais emportée par l'instant, je ne m'en préoccupe pas.Assez rapidement, Najat me fait signe de remonter dans le bureau, car plusieurs chefs d'états souhaitent s'entretenir un moment avec moi. Je ne suis pas malheureuse de quitter cette marre aux crocodiles...
Après une bonne heure de conversations diverses et un tour du monde téléphonique, je raccroche. On vient m'annoncer que François m'attends dans son bureau de Premier Secrétaire. Je suis stressée à l'idée de le revoir... Notre couple a énormément souffert de cette élection, je ne sais plus d'ailleurs si nous formons encore quelque chose ensemble. Cela fait déjà six mois que je ne dors plus avec lui. Je ne l'ai vu que rarement au cours de la campagne, seulement à dire vrai lors des réunions du parti.
Alors que j'arrive vers son bureau, je le vois en sortir. Il me félicite un peu maladroitement. Il ne m'embrasse pas, évidemment. Il me dit qu'il est attendu à France 3. Je suis sidérée.- Mais enfin François, je vais prononcer mon discours dans moins d'un quart d'heure !
- Oui je sais bien Ségolène, tu sera très bien je n'en doutes pas.
- Il faut que tu sois auprès de moi, c'est la tradition... Que vont encore penser les journalistes ?
- Oh, ma présence n'est pas indispensable Ségolène. Tu te passes formidablement bien de moi à vrai dire. Et puis je suis attendu à Tulle demain, il faut que je me couche tôt.
François quitta le couloir ainsi, en coup de vent. Ces colères froides m'ont toujours fait beaucoup de mal...
Mais il me fallait être forte. Je fis abstraction de cet épisode pour grimper quatre à quatre les marches de l'escalier de service qui me conduirait sur le toit de Solférino.
La liesse populaire était à son comble. J'étais venue seule, sans personnalités politiques ni officiers de sécurité, à la rencontre du peuple qui m'avait élue. L'image était somptueuse. Armée d'un simple micro, je remerciai dans un discours emporté les françaises et les français pour leur confiance historique. Et soudain, je m'effondrai. Une vive brûlure s'emparait de ma poitrine. Ma vision se troublait. On venait de tirer sur la Présidente de la République élue.
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Elle Seule.
Historical FictionIl est vingt heures. Le visage de Ségolène Royal s'affiche sur toutes les télévisions de France. Oui, c'est elle. La surprise est totale, personne n'y croyait vraiment. Tout commence alors pour celle qui a construit cette victoire seule, contre son...