ANNA

Chapitre 5 ~ À l'Aube

Première partie : Dehors
Chapitre 5 : A l'Aube

Quand l'eau fouette mon visage, elle m'enveloppe d'un froid givrant. Je frissonne et me frotte les bras. Malgré tout, je reste sous ce jet d'eau qui glace chaque parcelle de mon corps. Je suis plus ou moins habituée à cette sensation que je ressentais chaque fois que j'entrais dans la cuve. Je pouvais même sentir la fraîcheur de l'engin sans même avoir mis le pied dedans. Je me souviens de la première fois, Alfred m'avait aidé à monter les marches, me tenant la main et ne cessant de trouver des mots qui auraient pu me rassurer. Or, j'étais terrifiée à l'idée de me retrouver dans un énorme chaudron rempli d'eau glacée, il était sombre, en acier et il était terriblement silencieux. J'avais, chaque fois que j'y entrais, l'impression de devoir y laisser une partie de moi.

Je reviens à moi lorsqu'on frappe trois coups distincts à la porte de la salle de bain. Je coupe aussitôt l'eau et m'enveloppe dans la seule serviette qui se trouve dans la pièce. Elle est humide et froide, mais cela suffira.

— Dépêche-toi ! Pas plus de cinq minutes dans la douche !

Je reconnais la voix de Vanessa qui m'attend certainement de l'autre côté de la porte. Mes dents s'entrechoquent tellement j'ai froid et tout mon corps tremble, comme lors de mes crises. Je m'avance vers le lavabo couvert de saletés à la robinetterie rouillée, puis je reste face au miroir.

J'hésite un long moment avant d'essuyer la buée à l'aide de ma main. Puis je fais face, pour la première fois de ma vie, à mon propre reflet. Je ne suis pas surprise, ni même déçue. À vrai dire, je ne ressemble pas à un monstre. Ça me rassure de savoir que je leur ressemble. Ma peau est pâle comme un cadavre, mes lèvres sont violettes car j'ai froid et mes cheveux sont longs, noirs et épais. Ce que je remarque, c'est ma maigreur. Je suis plus maigre que Jasmine, les os de mes épaules ressortent et mes joues sont creuses. On pourrait croire que je ne me nourris pas. Cet aspect physique est certainement dû à ma maladie, mais je n'ai pas envie de m'en convaincre.

Je n'ai pas envie de me dire que je suis malade. Je ne suis plus dans un institut, je suis dehors, je suis vivante et en pleine forme.

Je décide de détourner le regard de ce reflet qui est tout sauf ce à quoi j'aimerais ressembler, puis j'enfile les vêtements que Vanessa m'a donnés. Le pantalon glisse de ma taille, le t-shirt est bien trop large et la veste d'une couleur grise délavée est beaucoup trop grande pour moi. Malgré tout, j'ai moins froid avec ces vêtements qu'avec les robes qu'on me donnait à l'institut.

Quand je sors de la chambre, je m'attends à tomber sur Vanessa, mais elle n'est pas là. J'entends des voix provenir du salon, alors je me dirige vers celui-ci d'un pas silencieux.

Lorsque je mets le pied dans la pièce, Charlie arrête de parler et son regard sombre se pose sur moi tandis qu'Evan m'adresse un sourire chaleureux.

Je suis bel et bien l'intrus de cette maison.

— La douche n'a pas été trop dure ? me demande Evan. Vanessa a oublié de préciser qu'on n'a pas l'eau chaude ici.

Je secoue la tête de droite à gauche, j'ose à peine les regarder et je ne cesse de tirer sur les manches trop longues de ma veste.

— Je ne crains pas le froid, je déclare d'une voix bien trop basse.

Un silence s'installe et leur regard sur moi me met mal à l'aise. Je reste debout, alors qu'eux sont assis. Vanessa est appuyée contre un mur les bras croisés, Jasmine fixe le sol et Charlie se contente d'avoir le regard absent.

— Alors, Anna, d'où tu viens ? me demande Evan pour briser ce silence imperturbable.

Mon cœur s'emballe, je ne sais pas quoi répondre.