5. Maddie, es-tu folle ?

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La femme étrange, qui avait déjà pivoté pour nous entraîner dans un endroit mystérieux, se retourne, détaillant des pieds à la tête mon frère, qui se redresse subitement en s'époussetant et toussotant d'un air qu'il veut distingué. Face à l'incongruité de la scène, je ne peux retenir un petit rire, et Anja me lance un regard stupéfait, qui peut se traduire comme " toi, ma grande, t'as totalement pété les plombs ".

J'aurais pu lui tirer la langue. Oui, ça aurait été drôle, ça. Ah oui, mais non. Maturité, Maddie, tu te rappelles ? Montres que t'as grandi.

La suite me donne nettement moins envie de rire. Avant qu'aucun d'entre nous ait pu esquisser un geste, le garçon habillé comme un chevalier franchit d'un bond l'espace qui le séparait d'Eirik.

Et le transperce d'un coup d'épée.

Je pousse un cri perçant. Comme si mon cerveau s'était automatiquement mis en pause, et que la seule action que j'étais encore capable d'accomplir était utiliser mes cordes vocales pour pousser ce cri. Je suis comme statufiée, incapable de m'arrêter de hurler, incapable d'esquisser un geste. Mes yeux enregistrent la scène qui se déroule extrêmement rapidement avec une précision inaccoutumée, et les quelques secondes qui passèrent parurent durer des heures. Il me semble que toute l'horreur que j'éprouve passe dans ce cri qui sort des tréfonds de ma gorge...

Le garçon retire son épée, profondément enfoncée dans l'estomac d'Eirik. Il chancèle, et avant que j'aie pu esquisser le moindre geste pour me précipiter à son secours, son corps explose en une myriade de petites particules de poussière scintillante.

Le jeune chevalier rengaine son épée, d'un air satisfait.

- C'est bon, Ma Dame. Je me suis débarrassé de cet ersatz.

Puis, se tournant vers moi, il pousse un soupir profond, et me gifle violemment.

Je titube, secouée par la violence du coup. Incapable de réagir. Anéantie. Comment ma vie a-t-elle pu à ce point basculer dans l'horreur ? Je remarque à peine le chevalier embrochant à son tour Anja, qui elle aussi est restée immobile, paralysée par la confusion, son corps explosant en un petit nuage de poussière violette.

Une main se glisse dans la mienne. L'étrange femme m'agrippe, comme si elle voulait me transmettre toute sa force. J'aurais tellement voulu avoir la force de la repousser, de saisir l'épée que le garçon vient de laisser tomber, et les égorger tous les deux avec ! Mais c'est comme si on m'avait privée de toutes mes forces. Je sens mes jambes trembler, et je sens qu'elles sont sur le point de me lâcher. Je m'étale dans l'herbe fraîche, sens un flot de souvenirs et de bile remonter en moi.

Je vomis à longs jets, sentant à peine une main me tenir les cheveux. Dans mon esprit défilent des images prises au hasard, figées comme des photographies. Le robinet débordant de légumes. Les escaliers transformés en toboggans, Eirik et moi les dévalant juchés sur des luges. Lui et moi, debout sur mon lit, nous jetant des coussins à la figure. Sa main qui me repasse le fer à repasser.

Puis je sens qu'on m'aide à me relever, et les voilà tous les deux devant moi, le bras de la femme me soutenant. Ses yeux se plantent dans les miens et elle me dit doucement :

- Je sais que c'est difficile pour toi, je sais que c'est difficile à comprendre, mais il faut que tu te calmes. On va tout t'expliquer, d'accord ?

Si j'avais eu assez de force pour tenir debout toute seule, j'aurais sauté à la gorge du chevalier pour l'étrangler et laisser libre cours à la haine qu'il m'inspire. Je hais être aussi impuissante, aussi démunie, alors que je suis dévastée par la perte d'Eirik.

Maddalena, alias MaddieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant