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Enfin ! Le 14 chemin des genévriers. Nathan soupira. Il avait mal aux jambes à force de pédaler sur son vélo dans les montées. Et malgré ses efforts il était plus tard que ce qu'il pensait : le soleil commençait à se coucher. Il pesta contre sa bêtise. Il n'avait pas pensé à vérifier ses lampes...

Il s'arrêta devant le portail en fer forgé dont la peinture grise s'écaillait et sonna à l'interphone. Il eut beau attendre de longues minutes, personne ne répondit. Il prit donc appui sur le muret en briques rouges qui continuait le portail et aperçut de la lumière à la fenêtre. Il reposa son doigt sur la sonnette, et l'y laissa bien plus longtemps que la fois précédente. Au bout de quelques instants une voix de femme hésitante se fit entendre :

"Oui ?
-Bonjour, je suis un camarade de classe de Lou. Excusez-moi de vous déranger aussi tard. Je m'appelle Nathan, et j'aurai des cours à donner à votre fille.
-... Entrez."

Le portail s'ébranla lentement devant lui.

Il laissa son vélo sur l'allée de graviers et arriva devant la porte d'entrée, qui s'ouvrit sur une femme d'âge mûr avec de la farine plein les mains.

"Tu as des cours pour Lou ?
-Oui, puisque j'ai remarqué que personne ne les lui prenait. Je peux la voir ?
-Elle n'est pas là. Tu peux me les donner.
-Ce serait indiscret de demander pourquoi elle est absente depuis une semaine ?
-Oui."

Son regard se durcit.

"Tu comptes me les donner ou pas ?
-Oh, pardon, bien sûr."

Il sortit ses cours de maths de son sac et les lui tendit.

"Je n'ai pas tout, je n'avais pas prévu de venir aujourd'hui... Et puis je n'avais pas prévu que votre maison serait aussi loin.
-C'est pas grave, je ne pense pas qu'elle en ait vraiment besoin de toute façon.
-Très bien. Je vais vous laisser...
-Tu habites loin ?
-Un petit peu. Enfin va surtout falloir que je trouve mon chemin..."

Un sourire crispé se dessina sur ses lèvres.

"Tu veux que je te ramène ?
-Je ne veux pas vous déranger...
-Je n'ai rien d'autre à faire. Entre, le temps que je me prépare."

Elle s'effaça pour le laisser passer, puis alla se laver les mains. Nathan déboucha sur un salon très bien rangé, mais vide. Un canapé faisait face à une cheminée noire de suie, une bibliothèque débordante de livres en tout genre était adossée au mur, et c'était à peu près tout. Enfin, il y avait quand même trois cadres photo sur la cheminée. Les parents de Lou, se dit Nathan.
La voix de la mère de Lou lui parvint de la pièce voisine, le tirant de sa contemplation.

"Tu veux bien aller poser les cours dans la chambre de Lou ? La première à gauche en haut des escaliers.
-Très bien, répondit-il tout bas."

Arrivé à destination, il poussa la porte précautionneusement. Il découvrit avec stupeur l'énorme animal de compagnie de Lou, couché sur son lit. La chambre de celle-ci était encore plus dénudée que le reste de la maison. Le lit faisait face à un bureau blanc, avec pour seule déco des plumes d'oiseaux. Il posa les feuillets sur le bois blanc, et alla caresser le mastodonte qui s'ébranla à son contact. Il se releva et quitta la pièce sans bruit. Pire que sa maîtresse, pensa Nathan. Il le suivit du regard avant de se figer. Juste à côté de la porte se trouvait trois étagères, encore plus remplies que la bibliothèque du salon. Une centaine de carnets noirs se trouvait là, tous alignés les uns à côté des autres. Nathan en saisit un et l'ouvrit au hasard. Il tomba sur des crayonnés hésitants, représentant des paysages calmes comme des cimetières ou des lacs. Le trait se précisait au fur et à mesure des pages. Tout en noir et blanc.
Il le mit dans son sac prudemment, et saisit un autre ouvrage. Uniquement des citations, plusieurs par pages. Référencées avec une prévision d'archiviste. Sous la citation, l'auteur, le livre d'origine et même la page. Il reposa le carnet d'ébène et en prit encore un autre, le premier de l'étagère. Des dates, et des noms. Certains raturés, d'autres illisibles. Et puis des pages blanches. Énormément de pages blanches.

"Nathan ? On y va ?
-J'arrive !"

Gêné comme un gamin pris en flagrant délit, il embarqua le carnet comme un voleur et descendit les marches à toute volée.

Élise l'attendait devant la porte. Une fois sur la route, il ne put s'empêcher de poser la question qui le taraudait :

"Excusez-moi... Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de photo de Lou sur la cheminée ?"

Les yeux fixés sur la route, Elise se crispa instantanément.

"Tout simplement parce que nous n'en avons pas. Elle déteste ça. Plus que tout.
-Je comprends. Et c'est quoi tous ces carnets dans sa chambre ?
-Tu poses beaucoup de questions, toi... Tu es son ami, non ? Tu lui demanderas.
-Euh, ami n'est pas exactement le terme que j'emploierai... En fait, elle était censée être ma tutrice.
-Ah bon, c'est toi le nouveau ? Alors, comment trouves-tu le lycée ? se détendit-elle enfin, soulagée de changer de sujet.
-Pas si mal que ça. Les profs ont l'air sympa.
-Oui, ils sont très compréhensifs... Et avec Lou, comment ça se passe en cours ?
-Eh bien, en fait je ne sais pas trop... d'après ce que j'ai compris elle ne participe pas vraiment aux cours.
-Je sais... Elle t'a parlé ?
-A vrai dire, non."

A part pour me dire de ne plus jamais l'approcher, pensa Nathan.

"Sans vouloir être indiscret, il y a une raison à son comportement ?
-Tu aimes bien ça, décidément, être indiscret... Oui. Mais ne compte pas sur moi pour t'en parler. Et arrête de poser des questions. Tu ferais mieux de la laisser tranquille.
-Vous avez raison. C'est juste que... Non, faites pas attention. Votre chien est très gentil en tout cas. Quel âge a-t-il ?
-Je ne sais pas, il faudrait demander à Lou. Elle l'avait déjà quand elle est venue habiter à la maison.
-Lou n'est pas votre fille ?
-Non, nous l'avons en quelque sorte... adopté.
-Je ne savais pas..."

Nathan se tut, gêné, alors que la voiture s'engageait sur l'autoroute.

La prison des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant