Partie 4 :

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Cela devait faire plus d'une heure que les deux jeunes hommes discutaient au Love's Baker.
Enfin non, plutôt qu'Elliot monopolisait la parole.
Plus rien ne l'arrête s'il a quelqu'un à qui raconter les exploits de ses ancêtres, sa vision de la chevalerie ou de l'honneur ou même le contenu du dernier tome de sa saga littéraire préférée. Bien sûr, Guy pourrait tout à fait le couper pour orienter la discussion ailleurs, mais il n'en faisait rien. Il se contentait de l'écouter avec attention, sans se départir de son éternel sourire doux. Les histoires d'Elliot ne l'ennuyaient pas le moins du monde, et c'était justement ce qu'il recherchait : ne pas s'ennuyer. Avec ce petit duc, c'était très facile ! Il était si enthousiaste et passionné que Guy aurait pu l'écouter pendant des heures.
Au bout d'un moment Elliot commença cependant à s'essouffler, et commanda une nouvelle boisson à la serveuse, qui arborait un sourire espiègle à chaque fois qu'elle regardait dans leur direction. Elliot se demandait bien pourquoi, mais haussa les épaules. Elle ne devait pas être toute seule dans sa tête...
Il reporta son attention sur Guy, qui avait posé sa tête sur ses bras croisés, comme un enfant qui écoute une histoire. Cette comparaison n'est pas si loin de la vérité, en fait. Elliot se rendit soudainement compte qu'il parlait depuis longtemps et ne savait toujours rien de ce chevalier à part son nom et celui de son pays (dont il ne se souvenait déjà plus). Un peu embarrassé, il s'éclaircit la gorge et demanda :

"Au fait Chevalier, pourquoi êtes-vous seul ici ? Une quête à accomplir en solitaire ? Une mission d'infiltration ? ...ou une déprime peut-être ? ajouta-t-il en haussant un sourcil. C'était vrai que vu comme ça, un homme qui boit seul dans un bar, ça pouvait très bien être une pauvre âme qui noie ses problèmes dans l'alcool, aussi.
Mais Guy se contenta de glousser dans ses bras face aux interrogations saugrenues du jeune duc et s'étira en se redressant. On pouvait voir une partie de son torse dans la large ouverture de sa chemise, et Elliot fronça le nez devant ce manque de pudeur. Mais bon, il paraissait qu'il fallait respecter les cultures étrangères, il se contenta donc de détourner son regard pour écouter Guy.

" Non, rassure-toi, je ne suis ni un espion, ni un ivrogne, ni un malheureux. Simplement un serviteur qui profite de ses jours de congé en terre inconnue.
- Un serviteur ? tiqua Elliot. Comment ça ? Ne dessers point ainsi le titre de Chevalier !
- Aha, ne t'énerve donc pas, Elliot ! tenta Guy pour l'apaiser. Je ne sais pas pourquoi tu t'es mis cette drôle d'idée en tête, mais je suis loin d'être un noble chevalier... Je ne suis qu'un serviteur du Prince de Baticul, Luke Von Fabre. Enfin, c'est déjà une noble place, je dois l'avouer, j'ai beaucoup de chance d'être à ses côtés ! Mais je n'ai aucun titre, je suis simplement son protecteur."

Elliot ouvrit de grands yeux. Quoi ? Guy n'était pas un Chevalier ? Diantre ! Quelque peu déboussolé, il ne se laissa pas aller à sa déception et insista.

"Bon, d'accord, j'avoue avoir hâté mes conclusions. Mais si tu es le protecteur d'un Prince, que n'es-tu donc à ses côtés ?? Comment peux-tu te permettre d'avoir des congés ?? Et s'il avait besoin de toi, là maintenant ??"

Guy s'affala en arrière sur sa chaise et croisa les jambes sur le comptoir, en équilibre précaire sur deux pieds de chaise. Mais il semblait parfaitement maîtriser ses appuis, compétence basique pour un sabreur aussi doué que lui. Il croisa les mains derrière sa nuque et fixa le plafond.

"Ne t'inquiète donc pas pour lui... Là où il est, mon maître n'a actuellement pas besoin de moi.
- Ah bon ? s'interrogea Elliot. Pourquoi donc ?
-...eh bien..."

Guy ne répondit pas, et se contenta de continuer à fixer le plafond. Son beau sourire avait disparu pour laisser la place à un masque mélancolique qui perturba Elliot. Il n'aimait que très moyennement cette expression alors que depuis le début l'ambiance était si légère.
Il allait insister, mais remarqua du coin de l'œil la serveuse qui s'approchait, il referma donc la bouche pour ne pas continuer de discussion compromettante face à des témoins. Guy semblait perdu dans ses pensées tristes et ne remarqua pas la présence étrangère. Jusqu'à ce que...

"Euh dites- ,commença la serveuse.
- AAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHH !!!!!!!!"

Tout le monde dans le bar (et même dans la rue) se retourna en sursautant face au hurlement de Guy, qui s'éjecta de sa position d'équilibriste pour atterrir trois mètres plus loin, les quatre fers en l'air.
Tout le monde le fixa, interdit.
Elliot cru que son cerveau venait de le lâcher. Il cligna rapidement des yeux, sidéré, avant de bégayer :

" ...euuuh... G-guy ? Ça va ? Un problème ?"

L'intéressé tentait de reprendre un rythme cardiaque normal, la main serrée sur sa poitrine, haletant, à demi assis sur le parquet, au milieu des autres clients qui s'étaient figés de stupeur.

"..."

Au bout d'un moment qui sembla durer une éternité, la serveuse bafouilla d'une traite :

"Euh ben moi je venais juste vous dire d'enlever vos bottes du comptoir s'il vous plaît mon beau monsieur mais du coup euh ben c'est plus nécessaire je crois donc je vais m'occuper des clients sur ce excusez-moi."

Et elle sortit dans l'arrière-salle, laissant Elliot seul au comptoir à fixer le jeune homme qui commença à se relever une fois la jeune femme partie. Une fois debout, il s'épousseta, rouge de honte, et revint s'asseoir près du jeune duc après avoir relevé sa chaise. Les mains entre les genoux, il fixa le comptoir, espérant peut-être qu'en restant silencieux tout le monde oublierait son existence.
En un certain sens, ça fonctionna, car les autres clients se remirent vite à leurs discussions laissant le pauvre Guy respirer à nouveau.

"Euh... retenta Elliot, tu es sûr que ça va ? C'était une grosse frayeur là..."

Guy lui jeta un regard furtif avant de revenir à sa contemplation de comptoir. Non, décidément, il avait trop honte, il ne pouvait pas lui dire.
Pas maintenant alors qu'il le connaissait à peine et qu'il semblait porter le misérable qu'il était en son estime.

Elliot's GuyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant