Chapitre 1.

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Bill ressortit du cabinet de son médecin traînant des pieds dans ses vieilles baskets, la tête ailleurs et le corps endolori. Il s'amusait à marcher sur la ligne continue le long du trottoir en sautillant sur place de temps en temps, comptant le nombre de voitures grises qui passaient avec ce genre d'amusement léger qui le caractérisait. Lorsqu'il avait appris son cancer il y a tout juste un an, le blond n'avait pu s'empêcher d'hausser les épaules et de sourire malgré le drame, considérant qu'une maladie accrochée dans son sang ne se noierait pas dans de simples larmes, aussi acides soient-elles. Il en avait versé une, intruse et insignifiante, qui était partie s'échouer sur son jean troué. Il enfonça le bout de son nez dans son foulard et fourra ses mains dans sa doudoune, frileux. Seuls ses yeux restaient visibles, ses yeux d'une couleur indéfinissable, ses yeux qui tanguaient entre le noisette et le vert, ses yeux qui voyaient tout. Comme si un million d'information se bousculaient à la minute dans sa tête trop étroite, créant une marée d'embrouilles monstres. Il se sentait constamment emmêlé avec lui-même. Pourtant, ça ne faisait pas longtemps qu'il le trimbalait sur ses frêles épaules, ce truc. Ce bidule, ce machin, ce bibelot de maladie qui lui pourrissait la vie en l'empêchant d'exercer le métier qu'il aimait, de sortir, de courir, de rencontrer du monde. Leucémie. Le mot maudit et surtout interdit qu'apparemment aucun de ses proches, pourtant peu nombreux, n'osait prononcer. Le mot qui était inscrit en grosse lettres sur son carnet de santé depuis ses vingt-quatre ans, lorsqu'il avait refusé la chimiothérapie, et tous les autres traitements qu'on lui proposait, selon l'avancée des évolutions technologiques de la médecine. Il en avait aujourd'hui vingt-cinq, s'approchait doucement des vingt-six, et ne voulait pas finir légumifié par des lampions bizarres, c'était hors de question. Une vie courte mais saine était préférable. Il entrait progressivement dans un genre de stade avancé de la maladie : un espèce d'entre deux, entre cette période où tu commences à avoir du mal à vivre seul, à te fatiguer pour rien, et celle où tu croupis dans un lit d'hôpital, où tu passeras tes dernières semaines. Les médecins prédisaient une durée de vie encore assez longue, pourtant. Au moins trois ou quatre ans. Cette durée diminuait à chaque rendez-vous, et le ton du docteur se faisait toujours plus mielleux et condescendant, ce qui ne manquait pas d'amuser Bill. De toutes manières il n'avait personne à qui manquer, mis à part à son pauvre chien. Il l'aimait presque plus que sa propre mère, ce chien.

Le blond arriva enfin à la porte de son chez-lui, endroit dans lequel il se sentait relativement à sa place. Il tourna la clé dans sa serrure une bonne dizaine de fois en jurant. Comme d'habitude cette dernière restait irrémédiablement coincée. Il ignorait s'il était trop faible pour ouvrir une porte ou si au contraire l'action d'ouvrir cette porte nécessitait vraiment un effort surhumain. Il entra finalement au bout de longues minutes de galère et fut accueilli par des aboiements qu'il devinait festifs de Pumba qui se jeta à ses pieds. Il caressa son bouledogue d'une main absente et déposa ses clés farceuses sur la table basse de l'entrée, inconscient qu'il allait oublier de les avoir placées là la prochaine fois qu'il voudrait quitter son domicile. Il lui était arrivé de chercher ses clés durant des heures certaines fois, alors qu'elles étaient justes dans la poche de son blouson ou tombées quelque part dans l'appartement. Il les retrouvait ceci dit parfois dans des endroits bien incongrus, tels que son frigidaire ou ses draps. Draps qui de toute façon n'étaient plus partagés avec personne depuis trois mois. Son ex s'était fait la malle en l'injuriant d'incapable et d'ermite, lui expliquant avec toute la rage qu'une personne peut emmagasiner que ce n'était qu'un enfoiré d'égoïste qui vivait hors du monde et que par conséquent il méritait bien sa mort prochaine. Le blond s'était d'abord naturellement vexé puis avait passé la nuit enfermé, cloîtré avec ses manuels et ses maquettes, pleurant ses larmes dans son thé froid. Il se souvenait avoir beaucoup pleuré, ce jour-là. Il faut dire qu'il en était vraiment amoureux, de ce Georg. Il l'avait rencontré en boite, et ils étaient sortis à une vitesse hallucinante ensembles, soit 3 minutes et 33 secondes après leur rencontre. Ils avaient fait l'amour, fumé, ri, refait l'amour, couru dans la nuit, crié, ri encore un peu, et rerefait l'amour. Après tout la vie était aussi simple que ça. S'il y a bien une chose que Bill haïssait, c'était les conventions sociales inutiles et compliquées. Depuis que la vie lui avait posé un ultimatum, il se rendait tellement compte de toutes ces choses fortuites que nous faisons inconsciemment.

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