Moonchild [VMIN]

Chapitre 5⏳Pleine Lune⌛

Pleine Lune

"La face visible est alors entièrement éclairée"
WIKIPÉDIA

"Journal inconnu, Avril 2016

Apprendre, connaître, savoir, c'est accepter de tout remettre en question. 
Au moment où l'évidence frappera, tu regretteras ta curiosité, tu repenseras à la chance que tu avais lorsque tes pieds se déplaçaient sans y mettre du sens. Il y a des choses qu'on ne peut pas changer, qui doivent se passer comme c'est indiqué, c'est ce que je vais t'inculquer. 

Je ne voulais pas t'en parler pour ne rien gâcher, pour garder cette magie qui nous lie. Je suis égoïste, je l'ai fait exprès , je ne voulais pas te mettre au courant pour profiter d'un moment d'innocence en la compagnie d'une personne qui ne connaissait rien de moi, je me savais éphémère, j'avais ma date de péremption en tête. 

 Tu sais, je vais partir, on va m'emmener, je vais devoir t'abandonner et te laisser endurer seul toute la peine que procure une séparation inattendue, non voulue. Je suis un connard, je connais la vérité depuis le début, tu n'aurais pas dû t'habituer à tout cela, j'aurais dû t'avertir plus distinctement.

Je suis désolé, je ne voyais pas la suite ainsi, je pensais encore pouvoir inverser la tendance, gagner en espérance, mais, c'est fini, mon petit mal s'est transformé en grand tout. 

T'as raison, je suis pas trop vieux, ni trop jeune, je suis trop con d'y avoir cru. "

...

Jimin ne vient plus, il n'y a plus aucune trace de lui, le vent a soufflé toute preuve de son existence depuis plusieurs nuits maintenant. J'attends, patiemment, que son ombre ne se dessine sur l'asphalte poreux de ce parc silencieux. Mes nocturnes se déroulent ainsi désormais, je m'assois, je fixe mon regard sur cette lune qui nous a tant réconforté et je laisse le temps s'écouler sans savoir si je reverrais mon oiseau préféré. C'est long, je m'inquiète énormément, je me rappelle de son corps allongé sur le bitume, inerte, plus blanc que notre mère commune. Si ça se trouve, mon impression n'était pas mauvaise, ce soir là, Jimin est mort sur ce sol froid tandis que mes pieds me conduisaient chez-moi. Je l'ai laissé s'éteindre sans même m'en rendre compte, c'est probablement un inconnu qui l'a trouvé sans vie au petit matin...

Je suis passé devant sa maison, tous les volets sont fermés, il n'y a plus de véhicule dans la cour, le monde s'est endormi tout autour, la tristesse a repeint les murs, de classique et sans histoire, le lieu s'est transformé en une espèce de sanctuaire mystérieux. Je me demande s'il me fait une blague, s'il n'est pas simplement allongé sur son lit en rigolant à la pensée de mon visage déconfit par l'appréhension. Il en serait capable, surtout pour me punir de cette bagarre que j'ai provoqué en lui parlant méchamment. Il a dû me voir épier sa maison et il a fermé les volets en se disant que ça m'inquiéterait, il a toujours su faire des plans hors du commun. 

Jimin, si c'est une blague, ce n'est pas très drôle. Je suis vraiment très attristé, j'en ai perdu l'appétit, je ne vais plus à l'école, je ne dors pas beaucoup, je ne fais que végéter en imaginant de nouveaux scénarios. Tu sais, pour la première fois en dix-sept ans mon entourage s'interroge sur mon état mental. Ils pensent que quelqu'un m'embête à l'école, que c'est la raison de mes rêveries permanentes, ils doutent de ton existence. J'ai beau leur dire que tu n'es pas le fruit de mon imagination, ils ne veulent pas me croire. Je pense qu'ils étaient au courant pour cet autre qui m'a conduit à toi. 

Jimin,  en réalité, je crois que j'ai tout compris tout seul, alors si c'est la gêne de m'en parler qui t'empêche de revenir, ne m'en parle pas. T'as raison, je suis buté, je ne veux pas voir la vérité en face, je veux vivre dans le déni pour ne pas avoir à prendre mes responsabilités. Je t'en supplie, dis moi qu'il n'est pas trop tard, que je n'ai pas ouvert les yeux au mauvais moment, qu'il nous reste du temps. Profitons de nos dernières nocturnes, rions plus qu'il ne le faudrait, je te laisserais être trop vieux à la dernière minute, redevenons jeunes jusqu'à la fin. 

Jimin, je suis désolé, je ne peux rien faire pour te soulager, je ne peux pas prendre une partie de tes souffrances pour les graver sur ma conscience. C'est plus profond, plus douloureux, ça n'a pas de solution, je suis impuissant et ça m'énerve. Rien que d'y penser, j'ai envie de pleurer. Comme toi, lorsque tu partiras, je grandirais. 

C'est pas la fin, tu ne peux pas avoir quitté le quartier sans même me dire au revoir, t'as pas le droit de me faire ça. T'as pris quelques vacances, tu t'es enfui avec l'idée de revenir pour vivre de nouvelles premières fois, actuellement tu souris en regardant la lune briller. J'imagine tellement tes deux petits croissants charmeurs effacer tes pupilles, contraints par tes lèvres qui poussent tes joues maigrelettes sur tes paupières du bas. C'est comme cela que tu es le plus beau...

Chantes-tu ? Il me semble entendre ta voix de la balançoire à chaque fois que mes jambes me poussent vers le sommet, aidées par mes bras motivés. Le vent m'apporte quelques unes de tes notes sans vouloir me donner la direction vers laquelle m'aventurer. Je suis devenu un peu moins téméraire au fil de nos rencontres, le petit vagabond que j'étais s'est accoutumé à la facilité de nos échanges. Je suis devenu un homme civilisé, je ne cours plus derrière l'improbable pour enrichir mes rêves. 

Jimin, je ne regrette pas d'avoir chassé mon petit homme sans identité pour toi. Tu es la plus belle de toutes mes rencontres, le plus précieux de tous. Tu n'es pas éphémère, tu auras toujours ta place ici, dans mon cœur, tu continueras de vivre dans mes songes comme le faisait mon invention. 

Jimin, j'espère que tu n'es pas trop loin, j'ai tellement de choses à te dire.

Jimin, je ne suis plus un enfant du soleil.

Jimin, moi aussi je suis un enfant de lune.

Je prendrais ta place, petit oiseau nocturne.

...

"Journal de Jimin, Avril 2016

Taehyung, je suis désolé, je n'ai pas eu le temps de te prévenir, je n'ai pas pu me relever cette nuit-là. Mes jambes n'ont plus voulu m'écouter, mes poumons ne se sont pas tranquillisés, ma tête a tourné, j'ai bien cru que c'était la fin. 

Mes parents m'ont conduis à l'hôpital, au bord de la crise de nerfs, impuissants.
Ils ont beau se dire que cela ne va plus tarder, ils ne peuvent pas s'y faire.
Je suis une grenade dégoupillée, je vais bientôt péter et emporter la joie de ceux qui m'aimaient.

Promis, la prochaine fois, je t'explique tout.
Je ne peux plus jouer trop longtemps, la machine peut s'arrêter d'un instant à l'autre.
Tu ne trouves pas cela injuste ?

Aish, même l'idée du papillon ne me séduit plus.
Je ne veux plus rejoindre la lune de mes petites ailes.
Je veux rester sur ce banc pour te voir sourire.

Taehyung, merci de m'avoir offert cette première fois.
Celle d'aimer sincèrement quelqu'un.
Mon petit renard, je suis désolé d'être ce Petit Prince qui ne peut vivre sur terre plus longtemps. "
...