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Lomepal - Ray Liotta

- Tout le monde à bien compris ? questionna le professeur de lettres tout en tentant d'intercepter les regards de ses 24 élèves qui semblaient plus préoccuper par leur portable que par ses paroles ou somnolaient sur leur siège sans aucune gêne.

Je suis né j'ai pas tout compris (moi pas comprendre)

- Ouais c'est clair et net, lança un jeune homme au premier rang en insistant particulièrement sur le troisième mot.

Les réactions dans la salle ne se firent pas attendre et les rires fusèrent parmi les étudiants friands de ce petit jeu entre Jules Desroches et Eden Claire. Celui qui se pensait comique se retourna vers sa camarade pour lui lancer un clin d'oeil, cette dernière leva les yeux au ciels, lassée par ces références à son nom de famille. Les règles étaient simples : il suffisait de placer dans ses phrases le mot "Claire" le plus souvent possible ce qui avait le don d'exaspérer la blonde.

Tu vas trop vite, tu perds beaucoup de points
Mais si t'es spontané t'es dans le vrai

- Tant mieux, de toute façon ça ne change rien à ma fiche de paye, soupira le quadragénaire en éteignant l'ordinateur portable qui lui servait à mener ses cours.

Tous rangèrent leurs affaires précipitamment espérant gagner quelques secondes de pause supplémentaires, tous sauf Jules. Le frisé resta à observer son amie dont le visage était en partie dissimulé par une masse de cheveux dorés qu'elle tenta plusieurs fois de caler derrière ses oreilles, sans succès. Il la dévisagea, tentant en vain de deviner ses pensées. Elle était si proche de lui et pourtant si secrète qu'il en était perturbé.

Eden Claire, la fille aux milles et un mystères. Elle n'était pas vraiment belle, du moins elle n'était pas la plus jolie, son visage était harmonieux et ses yeux d'un brun profond, elle prenait soin d'elle, de la façon dont elle s'habillait, mais sa beauté classique n'était pas la chose la plus attirante chez elle. Non, ce qui rendait fou les gens, qui les intriguaient, c'était cette aura mystérieuse qu'elle dégageait.

Ce charme naturel était surement du à sa façon de se comporter nonchalamment ou bien à la manière dont elle prononçait les mots de sa voix légèrement cassée, même les injures sonnaient agréablement dans sa bouche - surtout "putain" qu'elle employait fréquemment pour terminer ses phrases, surement sans même qu'elle ne s'en rende compte.

Et même si t'as le regard de Ray Liotta
Ton corps peut finir en désordre

Rapidement Jules reprit ses pensées et imita ses camarades. Il quitta l'amphithéâtre prestigieux de La Sorbonne pour rejoindre un petit groupe formé autour des bancs disposés devant le bâtiment vieux de plusieurs siècles. Il se posa aux cotés de ses amis écoutant d'une oreille attentive leur discussion animée. Le basané ramena son sac à dos usé devant lui et sortit machinalement de la poche avant un paquet de Marlboro.

Comme à l'habitude il resta bloqué un instant sur l'image sensé le dissuader de s'empoisonner qui ornait l'avant de l'emballage. Il se moquait bien des avertissements "Fumer Tue", connaissant déjà les risques qu'il encourrait à cause de cette fichue addiction, mais pourtant il ne pouvait s'empêcher de prêter attention à ces petites photos plus ignobles les unes que les autres.

Mais on s'habitue bientôt ça me fait plus d'effet
Tu le sais, on s'habitue, oh non bientôt ca me fait plus d'effet

Jules glissa une cigarette entre ses lèvres, immédiatement la belle assise face à lui tendis sa main. Il y déposa délicatement une clope qu'Eden alluma non sans mal avant de lancer son briquet au jeune homme qui le rattrapa avec facilité.

- Chez Louis ? proposa une voix masculine.

- Mec c'est mort c'était déjà chez moi les deux dernières semaines, geint un blond qui portait des lunettes vintage et une veste denim bien trop large pour ses frêles épaules.

- Et pourquoi pas chez Eden ? proposa Jules en recrachant une bouffée de tabac à la figure de cette dernière.

- Est ce que je dois encore te rappeler que j'ai une coloc studieuse qui à l'habitude de dormir 10 heures par nuits au minimum ? répliqua l'intéressée en agitant sa main devant elle pour dissiper la fumée d'une mine agacée.

- Peu crédible, aucun étudiant ne reste chez lui le jeudi soir, contrattaqua t-il, surtout à Paris.

- Et tu nous la présente quand cette fameuse coloc super intelligente ? intervint Paul qui fut soudainement intéressé par la conversation.

- Jamais, c'est pas ma pote, ça serait bizarre, conclut-elle en grimaçant.

- En attendant on l'a jamais vu cette coloc je commence à douter de son existence, remarqua le fumeur dont le visage était illuminé d'un sourire insolent.

Une fois de plus la jeune femme leva les yeux au ciel. Alors qu'elle s'apprêtait à répliquer, une deuxième blonde - mais qui possédait de magnifiques yeux bleus la rendant d'autant plus séduisante - vint s'asseoir sur les genoux d'Eva assise à sa gauche.

- De quoi vous parlez ? demanda la nouvelle arrivée en passant un bras sur les épaules de son amante.

- On cherche un hôte pour le before de ce soir, répondit Marine qui s'était faite discrète jusqu'ici.

- Je me porte volontaire, annonça t-elle de sa voix suraiguë.

Son intervention fit sourire la bande d'amis qui l'acclama bruyamment, attitude joyeuse qui semblait déranger les Parisiens assis aux terrasses des cafés à quelques mètres seulement mais ils s'en foutaient, ils avaient pris l'habitude d'ignorer ces rabat-joies. Discrètement Eden lâcha un soupir de soulagement, elle n'aimait pas mentir à ses amis mais elle n'avait aucune envie qu'ils découvrent son petit secret.

- Putain merci tu nous sauves Anna, poursuivit Louis en lui tapant dans la main.

- C'est la meilleure je vous dis, affirma Eva.

Les discussions continuèrent de bon coeur dans le Quartier Latin jusqu'à ce qu'Eden se lève, voyant le temps filer.

- On rentre ensemble ? lui proposa Anna, tu prends le métro ?

- Non je rentre pied, déclina-t-elle gentiment.

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Point de vue Eden

J'arrive enfin à l'appart épuisée après avoir montée les cinq étages à pieds. Putain d'ascenseur en panne. Je pousse la porte et balance mon sac à main à travers la petite pièce qui servait à la fois de salon, de salle à manger et de cuisine.

- Mauvaise journée ? Me questionna mon cousin Antoine assis sur notre vieux canapé entouré de ses amis qui sont devenus les miens également avec le temps.

- Pas tant que ça, répondis - je simplement en m'asseyant près de lui.

- Développe.

- Disons que je suis juste lassée de devoir leur mentir sur une partie de ma vie.

- Faut savoir faire des sacrifices dans la vie ma belle.

Il est vrai qu'au début j'adorais jouer à l'espionne menant un genre de double-vie. J'ai toujours aimée avoir un coup d'avance sur les autres, me savoir manipulatrice et non manipulée, mais désormais, je suis usée de devoir trouver des excuses pour que personne ne pose un pied dans ce studio bien trop petit pour deux personnes.

Mais on s'habitue, bientôt ça me fait plus d'effet
Tu le sais, on s'habitue, oh non bientôt ca me fait plus d'effet

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Yeux DisentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant