Chapitre 7

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Willow courrait. Elle n'avait jamais autant couru, jamais autant eu peur. Elle n'avait surtout jamais, jusqu'à aujourd'hui, été découverte au grand jour. Jamais aussi facilement. Elle s'était retournée. Sous le coup de la panique, elle n'avait pas réfléchi. Elle aurait simplement dû partir, mais non, à la place, elle avait commis cette horrible erreur. Elle s'en voulait tellement. Sa vie allait devenir un cauchemar. Elle avait passé des années à se cacher des humains, de la vie banale et sans âme. Voilà qu'aujourd'hui, en un petit quart de seconde, tout avait été déparé, sa liberté détruite, sa vie déchirée. Tout n'était plus que cendres dissipées et parties en fumée. Sa vigilence devrait être constante. Elle ne pourrait plus rester sur les branches de son saule, un livre à la main, une belle musique résonnant dans la forêt. Cette forêt si paisible deviendrait un lieu des plus dangereux, un lieu où chaque chemin, chaque arbre, chaque tronc, chaque branche, chaque feuille pourrait s'avérer être un danger pour le secret de son existence. Peut-être même devrait-elle la quitter. Quitter cette maison, ce berceau qui l'avait abritée, aidée, nourrie et surtout protégée depuis son enfance, depuis l'apogée du drame qu'était sa vie. Cela était impossible. Elle ne pouvait abandonner le seul endroit où elle s'était toujours sentie acceptée, cet arbre qui la maintenait debout tel sa colonne vertébrale, ces animaux qui faisaient maintenant partie de son entourage, ce petit écureuil qui se posait sur la branche de son saule chaque matin en réclamant des noisettes et des glands. Elle ne pourrait jamais partir, ce serait comme abandonner sa propre mère, comme abandonner sa vie. Seulement, elle savait qu'après ce que Luna venait de voir, elle s'empresserait d'aller voir sa mère afin de lui prouver qu'elle avait toujours eu raison. D'ailleurs, Willow ne pouvait pas lui en vouloir. Cet acte serait sûrement celui qui rendrait les liens entre la fille et sa mère le plus fort possible. Prouver à sa mère notre raison, celle-ci s'excusant de ne pas y avoir cru. Celle-ci, étant détective, si fière de son enfant pour l'enquête qu'elle avait accomplie. Oui, la jeune fille comprendrait. Cependant, elle n'était pas sûre que cette révélation prouverait son innocence. Elle allait être chassée, persécutée et, si retrouvée, emprisonnée pour meurtre. Elle perdrait la liberté qu'elle avait finalement trouvée, après tant de temps. Elle perdrait tout.
Perchée au plus haut du cèdre sur lequel elle avait grimpé, elle observait sa jolie maison faite de nature. La nostalgie de son ancienne vie se faisait déjà sentir. À ce moment-là, Luna devait déjà être arrivée au commisariat et les policier prévenus devaient déjà être en route vers sa jolie maison afin de la détruire. Willow s'accordit encore quelques minutes pour apprécier, peut-être pour la dernière fois, ce paysage calme et rassurant, à l'abri de tout dérangement. Elle ne pouvait pas laisser ses affaires dans le creux du chêne. Le risque que quelqu'un les trouvât était trop important. Alors, elle descendit de la branche du cèdre après avoir silencieusement dit adieu à son accueillant berceau, les larmes se formant aux coins de ses grands yeux bleus vifs plein de tristesse et de regrets. Elle pensait à sa mère. Sa mère, qui lui avait montré cette belle forêt, aurait été si déçue. Willow avait tout détruit, elle avait scié les arbres et tué les animaux à la vie tranquille. Elle avait parsemé les chemins de béton artificiel et de panneaux dénaturant cette forêt qui, autrefois, avait été aussi libre que la jeune fille. Elle ne pensait pas que la culpabilité qu'elle avait ressenti autrefois et qui la suivait encore en prenant place dans son esprit, et en se propageant dans tout son corps, pourrait apparaître une nouvelle fois, aussi forte et déchirante qu'il y a neuf ans. Elle avait comme tué sa mère une deuxième fois. Son coeur était comme écrasé dans sa cage thoracique, fissuré, et risquant à tout moment d'éclater et de se briser. Willow marchait monotonement dans l'herbe fraîche, ses bottes abîmées menaçant de se déchirer, tout comme son coeur. Elle marchait les yeux vides, les larmes qui avaient germé aux coins de ses yeux ayant finalement coulé sur ses joues pâles et creuses. Elle marchait sans voir l'environnement autour d'elle. C'était comme si ses cinq sens, formés par l'art du dessin, avaient cessé de fonctionner, comme si le sang, formé par les livres l'éloignant de la réalité, avait cessé de circuler dans ses veines, comme si l'air, formé par la musique, avait cessé de pénétrer dans ses poumons, comme si sa colonnne vertébrale, formée par son saule pleureur, avait été brisée, comme si son coeur, formé par la forêt, avait cessé de battre. Elle était comme morte à l'intérieur. Elle n'était plus qu'un corps qui marchait robotiquement. Elle savait qu'elle se batterait, mais sa vie c'était tout de même amenuisée.
« J'ai vu tes yeux ». Ces mots sortirent Willow de ses pensées destructrices. Elle se retourna d'un trait pour voir Luna à un petit mètre d'elle. Elle s'était tellement plongée dans les pensées qui lui emplissaient la tête qu'elle n'avait même pas entendu Luna. Pire encore, elle ne l'avait même pas vue. Elle s'apprêtait à partir mais la jeune fille aux cheveux blonds la retint par le bras avant de lui dire :
- Pourquoi fuis-tu ? Je ne vais pas te faire de mal.
Les yeux de Luna étaient doux et sa voix rassurante. Sa main avait laché le bras de Willow mais celle-ci ne bougea pas. Elle était pétrifiée. Elle ne voulais pas risquer de répondre. La jeune fille, ayant compris cela, continua seule :
- J'ai toujours su que tu étais en vie. Tu ne pouvais pas disparaître comme ça. Alors tu es restée pendant neuf ans cachée dans cete forêt ?
Toujours aucune réponse, alors elle annonça :
- Tu sais tu n'as pas à avoir peur de me répondre je ne suis pas contre toi, au contraire. En tout cas, je comprends parfaitement pourquoi tu as choisi cette forêt, c'est vraiment magnifique. Tu es vraiment courageuse pour passer ta vie loin de tout.
- Jusqu'à maintenant, répondit Willow sans réfléchir.
Au son de sa voix, les billes noires des yeux de Luna s'illuminèrent un peu.
- Pourquoi dis-tu cela ? questionna celle-ci.
Désormais obligée de répondre, Willow lui dit :
- Disons que maintenant que chaque policier que tu as prévenu est au courant de mon existence..
- Que j'ai prévenu ? s'étonna Luna. Tu penses que je les ai prévenus ? Pouquoi aurais-je fais ça ?
- Tu ne les as pas prévenus, demanda Willow avec méfiance.
- Bien sûr que non ! Si tu te caches ici depuis neuf ans ce n'est pas pour que les policiers arrivent et détruisent tout ! Surtout que la plupart d'entre eux pensent que tu es coupable de meurtre. Oh ! Excuse-moi tu ne le savais pas !
- Si, j'étais au courant, répondit Willow qui n'essaya pas de cacher son identité. Elle savait que c'était inutile et que la seule chose que cela engendrerait serait la méfiance de Luna.
- Ah, tant mieux. C'est parfaitement ridicule. N'est-ce pas ?
Willow bessa ses yeux mais ne répondit pas.
- Tu n'es pas coupable de meurtre n'est-ce pas ? dit Luna avec panique.
- C'est compliqué.
- Ça n'a rien de compliqué est-ce que tu as assassiné quelqu'un, oui ou non ?
- Je ne vois pas pourquoi je devrais te répondre. Qui me dit que tu ne vas pas, tout de suite après, courir voir la police ?
- Mais parce que je suis persuadée de ton innocence ! Aide moi à t'innocenter !
- Je n'ai pas besoin de toi.
- Mais si je t'innocentais tu pourrais vivre une vie normale !
À ces mots, les yeux de Willow exprimèrent un grand dégoût.
- Je ne veux pas vivre une vie normale.
- Comment ça ?
- Je n'ai pas besoin d'une vie normale. Jure moi que tu ne diras à personne que tu m'as vue.
- Je te le jure. Mais raconte moi ce qui es arrivé à ton père.
- Jamais.
À ces mots, Willow partit en direction du chêne où ses affaires se trouvaient mais Luna la suivait.
- Écoute, laisse tomber, commença Willow. Personne ne croira jamais en mon innocence et ça ne me dérange pas. Je ne veux pas d'une vie normale. Je trouve que ma vie ici est parfaite. Je te remercie pour ta confiance mais abandonne.
- Mais je ne veux pas abandonner !
- Luna, il ne s'agit pas de ton choix mais du mien ! C'est de ma vie que l'on parle !
Mais l'expression de Luna était devenue perplexe. Elle demanda :
- Comment connais-tu mon prénom ? D'ailleurs, maintenat que j'y pense, tu n'as pas l'air si choquée de m'entendre dire que je te crois innocente.
Willow ne trouva pas les mots. Mais elle n'a pas eu besoin de le faire car Luna continua :
- Tu sais, il y a quelques semaines, quelqu'un s'est introduit chez moi de manière très discrète. Seulement, il a oublié de ranger après son passage. Vu la discrétion que cette personne possédait, je doute que cela ait été un oubli. C'était toi n'est-ce pas ?
Willow ne répondit pas, mais la jeune fille prit cette réaction pour un "oui".
- Que faisais-tu chez moi ?
Mais elle n'eut pas de réponse car Willow était partie. Partie si vite que Luna n'avait pas eu le temps de la suivre des yeux.
Arrivée au chêne, Willow était bouleversée. Cette journée n'avait pas été des plus simples. Elle décida de dormir ici cette nuit pour plus de prudence. Demain, elle irait voir à côté de son saule pour voir si Luna et ses amies étaient toujours là. En attendant, elle alluma le petit MP3 qu'elle avait réussi à reprendre à la fille de détective. Comme celle-ci l'avait dit, Willow était quelqu'un d'extrêmement discret. Soulagée de le retrouver, elle mit la musique en lecture et se détendit. Elle ne savait pas pourquoi, mais, bien qu'une pincée de soupçons envers elle, elle avait confiance en Luna pour garder son secret. Après tout, révéler son existence serait gâcher ses recherches puisque, dès que les policiers seraient au courant, ils viendraient la chercher afin de l'inculper pour meurtre. Alors, ses cinq sens de nouveaux fonctionnels, ses veines de nouveaux parcourues par le sang, ses poumons de nouveaux nourris par l'air et les battements de son coeur de nouveaux présents, elle se mit à finir le dessin de sa belle et libre forêt.

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