1| Emma

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Mercredi 27 mai à 21h38

Valentine, c'est ça ? Tu sais, quand tu m'as proposé d'écrire dans ce vieux bouquin, j'ai bien rigolé. Je t'assure. Pourquoi livrer ses pensées les plus secrètes à une inconnue ? Sur papier en plus ! La blague.

Puis la semaine est passée, m'écrasant sous les problèmes, sous le poids des responsabilités et dès que je rentrais chez moi, je voyais ce foutu journal qui n'attendait rien d'autre que je lui fasse part de tout ce que j'avais sous le cœur. J'ai tant repoussé ce moment que je n'en sais même plus les raisons.

Mais j'avais besoin de parler à quelqu'un, j'avais besoin de confier ces mots à une tierce personne. C'est facile quand on a beaucoup d'amis, on en choisit un et hop ! Le tour est joué. Moi, je n'ai jamais été vraiment très sociable et, crois-moi, ce n'est pas faute d'avoir essayer.

Et puis un jour, j'ai rencontré quelqu'un. Ouais, quelqu'un. Mais pas n'importe qui, ça non. Il était, non pas parfait, mais il me semblait idéal. C'était mon idéal. On a commencé à développer une sorte de lien qui a finalement aboutit à une relation. C'est tout con dit comme ça, mais je sais pas, y'avait une sorte d'alchimie qui nous liait, tu comprends ? Une connexion. On passait nos journées ensemble, et même si je ne me souviens plus tellement de tout ce qu'on a fait, c'est pas grave. L'important c'était lui. Tant qu'il était là, j'étais quelqu'un, quelqu'un de différent, une personne dont je ne soupçonnait même pas l'existence.

Et un jour, il est partit, comme ça, sans laisser de nouvelles. Je ne l'ai jamais revu depuis, mais ça fait mal. Vraiment très mal. Je ne sais même pas comment expliquer tout ce que je ressens, parce que justement, je n'ai plus rien. Il était celui à qui je me confiais, celui qui m'aidait et me comprenait. C'était celui qui égayait ma vie. A présent, je ne sais plus à quoi me raccrocher, je ne sais plus comment avancer. J'ai oublié ma vie avant lui. Il m'a vidé de toute mon énergie. Et maintenant que je n'ai plus personne à qui parler, que mes maux sont trop lourds à supporter, je viens vers toi. Qu'est-ce que je peux être égoïste, pas vrai ? Tu dois bien te foutre de moi.

Quand je relis ces lignes, je me sens si stupide. Je suis si stupide. Le monde a des problèmes bien plus graves et moi, je me lamente comme si la dernière étoile était tombée sur Terre. Mais que veux-tu, je n'arrive pas à l'oublier. Sur le coup je me suis dit, c'est pas grave Emma, tu te relèveras. Mais rien n'est passé. Rien n'a changé. Et ma peine est restée telle quelle. J'ai naïvement espéré qu'il reviendrait, au moins pour m'expliquer tout ce foutoir. Mais j'ai attendu pour rien, il n'est jamais réapparu.

Je sais pas quoi te dire d'autre, je sais pas pourquoi je suis là, à écrire dans ce bouquin moisi, à essayer de dompter mon chagrin. Tout ce que je peux te dire, Valentine, c'est que j'arrive à confier ça à personne. Ils me sortiront tous qu'avec le temps, ça passera, qu'il m'aidera à oublier. Le problème c'est que je ne pense pas vouloir oublier. Les souvenir qui remontent me font me sentir vivante et en même temps, m'enfoncent un peu plus. C'est tellement malsain. Tout ce que je veux, c'est passer à autre chose, que ça s'arrête. Bordel, je veux que tout ça s'arrête.

Je ne t'ai même pas demandé pourquoi t'étais là, seule, assise au bord d'un gouffre. Peut-être que toi aussi t'as touché le vide ? Ou alors, tu aimes le danger, sentir l'adrénaline couler dans tes veines, les frissons parcourir ton corps, un sentiment de puissance t'enivrer. C'est ça que tu recherches ? Pouvoir décider de ta vie sans personne pour t'influencer ou te guider ? Savoir qu'il suffirait de quelques centimètres pour en finir avec tout ça et que c'est toi seule qui l'aurait décidée ? Je n'aime pas ça. Je pense pas que la mort soit un choix juste, c'est une tragédie. Parce que même si j'ai mal, même si tout ça me fais mal, jamais je ne prendrais cette option.

Alors, si tu as des problèmes, quels qu'ils soient, s'il-te-plaît, parle-moi. Ou du moins, écris-le sur ce vieux carnet complètement pourri, que tu as sûrement dû voler à ton grand-père. Tu sais, je me sens déjà mieux. Un petit peu. Je crois qu'en parler m'a fait du bien. Enfin, écrire tout ce que je ressens. Tu devrais faire la même chose, puisque c'est toi qui m'a trouvé. Finalement, c'était pas une si mauvaise idée. Je crois que je pourrais m'habituer à t'écrire ici, et à contempler le paysage. Quelle drôle d'idée que de composer des mots destinés à être lus par une inconnue ! En tout cas, je regrette pas. Et tu veux que je te dises ? Ecrire ici m'a fait oublier tous mes problèmes, même si j'étais en train de m'en plaindre -paradoxal pas vrai ?- et pour ça, je te remercie.

Je serais là samedi prochain.

Emma

Au-delà des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant