7| Emma

23 5 3
                                    

Mercredi 8 juillet à 22h17

Au-delà des mots. C'est comme ça qu'on appellera ce carnet parce que tout ce qu'on a écrit là-dedans, c'est pas seulement quelques phrases par-ci par-là, reliée par des conjonctions de coordination. Tout ce qui est écrit, c'est une partie de nous-même, une partie qu'on a décidé de livrer pour se sentir mieux. Ce qu'on a écrit, c'est la multitude de sentiments qui nous correspondent.

On le nommera comme ça aussi parce qu'il ne suffit pas de savoir lire quelque chose pour le comprendre. On sera pour ainsi dire les seules à savoir ce que signifient vraiment ces lignes. Et surtout parce qu'au-delà des mots, il y a nous. Si un jour quelqu'un passe par là, dans un futur proche ou lointain, et qu'il trouve ce journal, il saura qu'on a existé, il saura ce qui nous a animé pendant notre vie.

Et je trouve ça beau de se dire qu'on se souviendra de nous à travers ces mots. Quand une personne meurt, elle n'existe plus, elle ne compte presque plus. Et quand les proches du mort trépassent à leur tour, c'est fini. Plus jamais son nom ne sera évoqué, plus jamais sa vie ne sera racontée. Parce que personne ne se souviendra de ce qu'elle aura fait, de ce pourquoi elle se sera battue dans sa vie. Personne ne saura pourquoi elle a fait ces choix-là. Et ça vaut pour chacun de nous. On ne se souviendra pas de nous si on ne laisse pas une empreinte de notre âme, si infime soit-elle dans le monde. Certains marquent l'Histoire par de grands actes, moi, je vis pour laisser une trace et pour qu'un jour, je vive de nouveau à travers elle.

Ça peut sembler complètement stupide, certains diront même que c'est du temps perdu, et qu'il faut vivre sans se soucier de ces choses-là, que quand on est mort, ça n'a plus d'importance. Mais ça a de l'importance pour moi. Et je ne veux pas qu'on m'oublie. Je ne veux pas me réveiller un jour et savoir que tout ce que j'ai construit n'existera plus. Finalement, on est comme un château de sable. On grandit, on atteint notre apogée et la marée finie par nous emporter, ne laissant plus qu'un vague souvenir dans la cervelle d'un enfant -souvenir qui s'éteindra au fil du temps.

Mais si tu décores ton château de coquillage, d'objets matériels, alors peut-être qu'un jour, le courant les rapportera sur la rive et que quelqu'un les trouvera. Peut-être qu'un jour, cette même personne se demandera si quelqu'un l'a déjà tenu entre ses mains. Alors elle se mettra à imaginer mille scénarios, se demandant à quoi je pouvais ressembler, quel était mon caractère, mon histoire, dans quelles circonstances, j'avais obtenu ce coquillage. Et par le biais d'un élément, je survivrai au temps.

Je ne sais pas si tu me comprends, mais ce que j'essaie de t'expliquer, c'est qu'en laissant une trace, tu peux laisser un message qu'on lira peut-être un jour. Et je trouve qu'exister au-delà des dimensions de la vie ça a quelque chose d'irréaliste. Mais tentant. Alors libre à toi de vouloir ou non inscrire ton empreinte, mais je te le dis, laisser quelque chose, ça ne coûte rien.

Pour aborder la question du bonheur, je ne suis pas d'accord avec toi. Parce que le bonheur, c'est juste vivre sans justement se questionner dessus. Si tu te demandes si tu es heureux, alors tu ne l'es pas. C'est mon point de vue, une fois encore. Mais quelqu'un de vraiment heureux ne pensera pas à ça. Un milliardaire ne se demande pas s'il a assez d'argent pour s'acheter une voiture. Il l'a. Un chef étoilé ne se demande pas s'il est assez bon cuisinier pour servir dans un restaurant. Il l'est. Tu vois la différence ? En fin de compte, le bonheur, c'est abstrait et surtout éphémère. Alors n'y penses pas et donne-toi l'illusion de déjà l'avoir. C'est mieux que rien.

J'allais presque oublier de te remercier. Pour mes cheveux. C'est vrai qu'ils sont voyant, et que c'est sûrement pour ça qu'on nous remarque plus. Tant mieux, comme ça les gens auront quelque chose à faire durant leurs journées. Réfléchir au mystère que nous représentons. Finalement, on peut en déduire qu'on fait une bonne action tous les mercredis. C'est bien.

En parlant de bonne action, j'ai recueilli un chat hier. Il était coincé sous ma voiture, mon père allait l'écraser. Pauvre félin. Heureusement, j'ai entendu les miaulements. Donc, depuis hier, il est chez moi. Crois-moi, j'ai bataillé pour le garder et d'ailleurs, mes parents ne se sont toujours pas mis d'accord pour le laisser vivre chez nous définitivement. C'est pour ça que j'ai décidé de mettre en place le projet Mignon. Ce petit chaton va séduire mes parents et ces derniers n'auront pas d'autre choix que de l'adopter.

Quand j'y repense, je me dis que peut-être ce chat appartient à quelqu'un. Est-ce que ce serait considéré comme du vol ? Je ne pense pas, après tout, on ne peut pas voler un être vivant et surtout, il fallait mieux s'en occuper. Bon, c'était la bonne nouvelle de la journée.

Emma

Au-delà des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant