3| Emma

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Mercredi 11 juin à 22h04

Ouais, c'est bien moi. La rousse qui dort en français. Qui a prit L par dépit. Je vois bien qui est Gary, et pour être franche, c'est pas forcément mon ami. Enfin bref, je suis bien la fille étrange dans la classe de ton pote.

T'as parlé de solitude. Tu sais, tu ressembles pas à une fille délaissée qui chercherait sa place dans le monde. Nan, tu te rapprocherais plutôt de celle qui s'épanouit sur tous les plans de sa vie, que ce soit sur le social, personnel ou professionnel. Après, ce n'est que mon avis. Ma mère m'a toujours dit de ne pas confondre l'apparence du fond. L'habit de l'être. La surface de la partie immergée. Et pourtant c'est ce que j'ai fait, non ? Je t'ai jugée sur les apparences. Dans le fond, on nie, mais tout le monde fait ça. Que ce soit pour se rassurer, pour trouver un modèle ou pour critiquer, on juge tous sur ce qu'on voit au premier abord. C'est l'Humain, c'est dans sa nature. Je trouve ça triste, mais on changera pas une race avec nos petites mains et nos multitudes d'esprits.

J'ai regardé cette ville que tu idolâtre tant. Et je n'ai pas trouvé toutes ces choses dont tu parlais précédemment. Personnellement, je ne vois que la nature qui perd ses droits sur un monde qui s'assombrit. Je ne vois que l'être Humain qui essaie de dompter cet univers mais qui, égoïstement, ne construit que pour son confort. Je ne vois pas le calme, la tranquillité dont tu parles. J'entends les bruits des voitures, les passants pinailler, crier et se presser. Ils sont chacun dans une bulle, chacun à la recherche d'un but, sans prendre le temps. L'être Humain court après le temps, comme s'il avait peur d'en manquer.

Héler un taxi, commander un café, passer un coup de fil, ça il sait faire. Mais cet Homme, dont on vente les mérites, pourrait-il retourner à des temps passés et survivre dans ce milieu hostile qu'étais la nature ? Arriverait-il à se souvenir de ses besoins élémentaires ? Certainement pas. Et c'est pour ça que cette race est destinée à s'éteindre, un jour ou l'autre.

Je peux paraître pessimiste, mais moi je me décrirais plutôt comme réaliste.

Je suis passée à la boulangerie en venant. Je me suis acheté un croissant et je t'en ai pris un autre. Je le pose là si t'en veux. Sinon, je le mangerais. J'espère que tu fais pas de régime, parce que ces viennoiseries là sont plus beurrées que les crêpes de ma grand-mère. C'est flippant. Mais tellement bon. Au pire, dis-toi que tu manges des légumes. Je t'assures qu'au bout d'un moment tu finiras par le croire. C'est psychologique.

Tu sais, j'aurais jamais pensé ça, mais c'est fou comme on peut se livrer facilement devant un bout de papier plutôt que devant une personne. Je pense qu'on devrait tous faire ça une fois par mois. Poser par écrit nos pensées, nos angoisses et nos impressions. Peut-être que ça pourrait soulager plusieurs personnes et ouvrir les yeux à d'autres. Parce que quand t'es seul devant ta feuille, tu penses pas au jugement des autres. Tu penses seulement à toi, et à ce que tu ressens. C'est libérateur.

Et en ce qui concerne notre "rencontre" au café du coin, c'est vrai que tu m'as paru légèrement dérangée quand tu m'as donné ton vieux bouquin. En revanche, ne me demande pas pourquoi je l'ai gardé, parce que ça, c'est une question dont je n'ai toujours pas trouvé la réponse. Mais bon, je ne vais pas m'en plaindre, j'aime assez nos rendez-vous sur le toit d'un immeuble tombant en ruine. C'est surprenant et constructif, je pense. Comme quoi, la vie est bien faite par moment.

T'as une petite mine aujourd'hui. Je sais pas si c'est parce que l'automne arrive ou pour une autre quelconque raison, mais ça me plaît pas. Ne te moque pas de moi ! J'aime pas voir mon entourage triste. Contradictoire envers le fait que j'aime pas les gens tout court. Que veux-tu, ça doit provenir de ma personnalité si complexe.

En tout cas, je ne saurais le répéter, mais vraiment, si ça ne va pas, écris. Et ça restera entre toi et moi.

PS : dis à l'univers d'aller se faire foutre. Et désolée pour ton grand-père, je savais pas.

Emma

Au-delà des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant