Au-delà des mots

6| Valentine

Mercredi 01 juillet à 21h48

Désolée, je sais pas ce qui m'est passé par la tête pour que j'écrive ces lignes. Je suis pas le genre de personnes qui se plaint de sa vie pourtant. Enfin, bref, n'en parlons plus. Les choses ont bien bougé en deux semaines et tout est rentré dans l'ordre. Enfin, "tout", la plupart des choses quoi. Mon père a arrêté de boire, il s'est confié à un vieil ami, qui était lui-même alcoolique dans le passé. Vingt-deux mois qu'il est sobre ce vieux bougre ! nous a-t-il dit fièrement. L'ami en question nous a promis à maman et moi de le suivre de près le temps qu'il ne replonge pas. En attendant, la situation est calme. Mes parents sont même plus complices. J'espère que ça durera comme ça longtemps. Même si je trouve ça bizarre, c'est aussi reposant. En tout cas, je me sens toute drôle. Je suis vraiment heureuse en ce moment.

J'ai remarqué que ta vision de la vie est vraiment... Négative. Le futur, l'Homme, la vie en général, ou encore toi. Je trouve ça triste parce qu'avec ce genre de pensées, tu passes à côté de beaucoup de choses. Mais bon, tant que ta vie te convient, alors c'est le principal.

Tiens, je n'avais entendu aucune de ces rumeurs la dernière fois que j'ai commandé un petit truc à grignoter au café. C'est amusant de voir tous ces gens se questionner sur nous. L'inconnu les fascine, on dirait. Ils doivent se poser quelques questions et se demander qui nous sommes. Je n'aurais jamais cru qu'on deviendrait aussi célèbres. C'est amusant aussi dans le sens où, quand je viens ici toute seule, personne ne semble le remarquer. Sûrement à cause de tes cheveux. Ils sont très voyant. Les miens sont noirs. Tellement noirs qu'ils se confondent avec la nuit et passent inaperçus le jour. Mais les tiens, ils attirent l'œil et c'est impossible de les rater. Tu as de la chance, tu sais, certains tueraient pour avoir d'aussi beaux cheveux.

D'ailleurs, je ne sais même pas ce que mes parents penseraient de moi s'ils savaient que je viens ici. Je ne sais pas et le pire, c'est que je ne sais pas pourquoi je ne sais pas. Je côtoie mes parents tous les jours, ou presque, je mange avec, je parle avec, je vis avec, mais je ne les connais pas tant que ça finalement. Quel est leur plat préféré ? Leur film, leur couleur préférée ? Qu'est-ce qu'ils aiment faire avant de dormir ? Ou avant d'aller au travail ? En réalité, je ne m'intéresse pas à ce qu'ils font, comme la plupart des personnes. On se rend compte de l'importance de quelque chose quand elle n'est plus là. On se rendra compte à quel point nos parents étaient un pilier élémentaire de notre vie quand ils mourront. Et malheureusement, ce sera déjà trop tard.

Enfin, passons. Je me suis dit qu'on devrait donner un titre à ce vieux bouquin. Quelque chose qui le résume et qui nous résume. Tu vois ce que je veux dire ? Des mots qui portent un sens, qui définissent un peu la raison de ce qui se passe ici, sur ce toit. On devrait donner un nom aux choses importantes et je considère que c'est important de passer du temps ici.

Je me demande combien de temps encore, on laissera nos pieds nous porter ici, je me demande quand est-ce qu'on trouvera ça dérisoire d'écrire sur un chiffon. Alors je profite, je profite de chaque moment de ma vie parce que je ne sais pas si un jour, je recommencerais telle ou telle chose. Toi aussi, profite. Vis comme si c'était la dernière fois que tu respirais, vis comme si demain n'existait pas parce que quand tu y repenseras, tu pourras te dire que t'as rien à regretter. Tu pourras sourire à l'évocation de tes bons souvenirs, tu pourras raconter des anecdotes amusantes et être heureuse.

Je pense que le but d'une vie, c'est de trouver le bonheur, même pendant un cours laps de temps. À mon avis, le bonheur ce n'est pas de rire jusqu'en avoir les larmes aux yeux, de sauter dans la neige ou d'avoir réussi ce que tu voulais. Le bonheur, c'est justement d'arrêter de faire tout ça et de pouvoir se dire "C'est bon, je suis bien" sans se mentir. Combien de personnes peuvent-elles en dire autant ? Est-ce tu peux en dire autant ? Va dans la rue et demande à tous ceux qui croiseront ta route s'ils sont heureux, et tu verras leur réponse. Tu verras surtout l'incompréhension dans leurs yeux, parce que de nos jours, interpeller quelqu'un dans rue, c'est juste pour demander l'heure.

Voilà, j'avais juste envie de te faire partager ma pensée de ce matin, pour te faire comprendre que finalement, ce qui compte le plus, c'est la façon dont tu te sens. C'est à toi de choisir si tu veux faire un voyage pour observer les manchots, c'est à toi de choisir si tu veux te marier. La société n'impose rien, c'est toi-même qui te mets des barrières. C'est toi qui créé des idées reçues alors qu'il n'en est rien. Choisis ce que tu veux être. Parce que oui, you can do it.

Alors sois heureuse et rien d'autre.

Valentine