CHAPITRE IV L'ECOLE

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Heureusement, il y avait l'école. Moi, j'aimais bien. On avait chaud, on avait un bon repas chaud (des nouilles avec du vrai beurre et de la bonne vieille vache). La maîtresse était gentille avec moi. Y'avait juste un truc qui plaisait pas trop : j'avais remarqué qu'à chaque fois qu'elle s'adressait à moi, elle faisait de l'apnée (comme le Commandant Cousteau). Finalement, c'est peut-être pour me faire plaisir, elle savait que j'aimais la mer et les crustacés.

Je travaillais bien à l'école. On apprenait des mots qui sonnaient comme des jurons et en plus, on avait le droit de les dire tout fort et tout haut : « Héliotrope – Brûle gueule – Etamine – Cucurbitacée. »

J'adorais les règles d'orthographe : Je me plongeais avec délice dans le Bescherelle, je me régalais du Noël à venir qui verrait se déposer au pied du sapin multicolore le dernier Robert.

Je me languissais des cours de grammaire : le participe passé, d'un coup de seul, je l'accordais et sous mon stylo encore hésitant je lui donnais la place qui lui revenait de droit. Je me réjouissais de ces E et S rajoutés, qui, au gré de la lecture, favorisaient la compréhension.

J'étais, en vérité, émerveillée par la complexité et la gentille sournoiserie des messieurs de l'Académie.

J'étais heureuse d'être considérée en tant que citoyenne. Je détenais les clefs du savoir, moi, qui par ma tragique naissance aurait du être condamnée à déplumer les cailles par 3 °C à 5 heures du matin dans un vilain abattoir, géré par de mauvais petits chefs et possédé par d'abjects financiers.

J'aurai bien donné un baiser brûlant et fiévreux à monsieur Larousse.

Pour mon frère, ça allait un peu moins bien à l'école. Sa maîtresse lui disait qu'il était trop « actif ».

Son attention glissait et s'envolait vers d'autres lieux. La maîtresse commençait la leçon et imperceptiblement il basculait dans un monde plus propice à la rêverie.

« Ah, il n'est pas désagréable ! » disait la maîtresse. « c'est plutôt, que... c'est comme si.., comme si, il n'était pas là. OUI, c'est cela, il est présent en classe mais son esprit est ailleurs. »

« je lui demande de répéter. Il me regarde gentiment, sans effronterie aucune et me dis « je ne sais pas, je suis désolé ».

« Les autres enfants rigolent, il n'en a cure, il est dans son monde »

« il faudrait l'intéresser au monde de l'école ».

C'était sans doute cela. L'intéresser au monde de l'école ! Le monde de mon p'tit frère était peuplé de gentils lutins mais aussi de monstres effrayants qui le pertubaient, de Papa Carpe, petit truand de banlieue même pas parisienne.

Dans son panthéon à lui, il n'y avait que Capitaine Caverne.

« il aime bien les jeux extérieurs » disait aussi la maîtresse. Une fois, il avait voulu faire un joli bouquet pour elle. Il a coupé toutes les fleurs du parterre pour les lui offrir. Elle s'est fâchée toute rouge. Sans doute, qu'elle n'aimait pas les tulipes ou alors ça a dû lui rappeler de sales souvenirs. Sa maîtresse a peut-être une Mémé Légume dans sa famille qui mange les fleurs.

Et puis, ce qu'il y'avait de chouette à l'école, c'était la récréation. On inventait des jeux. Moi, j'adorais jouer à « super grand-mère ». Super grand-mère avait des supers pouvoirs (normal, c'est une super grand-mère). Elle pouvait attraper tous les méchants, les mettre en prison.

Pour obtenir une permission de sortie, les enfants détenus devaient porter le cartable de super grand-mère pendant deux semaines, partager leur goûter, donner leurs bons points. Bref, que des trucs sympas.

Là où ça a commencé à être bizarre pour mon frère et moi, c'est quand les autres enfants nous ont demandé pourquoi on connaissait aussi bien le régime carcéral, les tours de parloir, les heures de promenade, les douches hebdomadaires, la vie en cellule. Faut dire qu'on était à bonne école. Pas forcément avec Papa Carpe qui parlait plus qu'avec ses yeux éteints, mais avec les tontons dans la famille de Maman Pieuvre, on suivait bien l'actualité de la prison.

Pour faire honnête figure face aux autres enfants de l'école, on a dit qu'on regardait beaucoup la télé. Les enfants nous ont cru. Au moins, on n'a pas honte de regarder la télé. Comme ça aurait pu sentir le roussi, on a arrêté de jouer à super grand-mère.

On a alors joué aux Miss France, mais ça posait aussi des problèmes car les garçons de l'école disaient que nous, les filles, on était « des tréteaux » et qu'il fallait mieux faire une « Miss Bâtiment » que « Miss Beauté ». D'autres ont dit que vu tous les gris, jaunes et noirs qu'y avaient, on ne pouvait pas faire une Miss France.

Après la dernière élection de Miss France, des parents sont venus se plaindre. Ils ont dit qu'on n'avait pas des jeux français, qu'il fallait jouer aux petits chevaux et à la marelle. C'est bizarre comme parfois quand on grandit, on devient de vrais cons !

La maîtresse, ça lui a vraiment fait de la peine. On l'a bien vu à sa façon de tortiller ses jolies boucles brunes. Son beau regard brun noisette avait perdu de l'éclat. Elle a dû regretter le nom qu'elle avait donné à son chat, notre maîtresse. Elle nous avait raconté qu'elle l'avait appelé « Robert », son beau chat persan, pour qu'il soit mieux intégrer parmi les mistigri-bérets du quartier.

Article de Presse : « Echos de nos écoles»

Une fois n'est pas coutume, parents et enseignants viennent nous trouver avec des questionnements communs :

En effet, ces éducateurs (au sens large du terme), nous signalent les jeux étranges auxquels se livrent nos jeunes bambins dans les cours d'école et les aires de jeux.

« Avant, c'était billes et élastiques !, maintenant, ça veut jouer la starlette dans la cour ! »

« tout ça c'est à cause de la télé ! »

« les enfants ne savent plus jouer, la télévision et les écrans de toute sorte abiment leur esprit »

« si ça continue, je vais passer la télévision par la fenêtre »

Nous signalerons à notre dernier lecteur que s'il souhaite mettre à exécution sa menace, qu'il vérifie auparavant que personne ne passe en dessous...

De manière générale, on ne saurait conseiller trop d'écrans, qui plus est avant de se coucher !


Les fées n'existent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant