CHAPITRE XII LES JEUX

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Même s'il se faisait taiseux, Dad Harry ne parvenait à se résigner... sa mauvaise fortune le rongeait. Les journalistes ne l'avaient pas contacté de nouveau et un nimbostratus grondait à l'intérieur. Un désir de réussite non assouvi pointait.

Il avait essayé de les joindre plusieurs fois mais, à chaque tentative, après avoir énoncé sa demande, rappelé sa requête, une musique d'ascenseur lui répondait. Une fois même, il avait cru entendre des rires.

Notre géniteur faisait alors le vide autour de lui. Le temps s'étiolait à son approche. Le silence et l'amertume prenaient possession de son existence.

Depuis que Dad Harry n'était plus aux arrêts, le compte en banque brillait par son indigence.

Pour conjurer le sort, dans une démarche prophylactique, il s'habillait comme un nabab de banlieue, avec du soleil dans les cheveux.

« du pur zyrconium » précisait-il, en exhibant ses métacarpes.

Peut-être bien que le cousin de l'autre planète va enfin débarquer et nous emmener vivre chez lui. On a beau regarder les étoiles, pas de cape rouge à l'horizon.

Avec le cousin, qui avait fait sa résurrection, ils parlaient en faisant de grands gestes et en prenant la pose comme la Crousti de la télévision.

« Merci personnel » gratifiait Dad Harry quand Maman Plancton apportait son sacré plat de pâtes gratinées. L'habitude aidant, le sourcil de notre génitrice ne se levait même plus. C'est pas marrant les habitudes.

Il évoquait souvent la martingale ; mon petit frère a cru qu'un copain avait attrapé la gale et a entrepris de se gratter consciencieusement partout.

Dans le dictionnaire, on apprend que c'est une courroie qui empêche le cheval de tourner la tête. Il n'a pas du croiser la bonne martingale quand il était petit, notre Dad Harry.

Il s'exerçait à vrai dire, il s'entrainait, préparant son ultime sortie avec la rigueur d'un protestant.

Il parlait l'œil brillant, le sourcil à la Sean Connery, enfin ça, c'est lui qui nous a expliqué, moi, je ne l'avais pas reconnu. Mon petit frère croyait qu'il faisait le shérif.

Il l'a tancé d'un sentencieux « savoir jouer, c'est le plus souvent savoir ne pas jouer » avant de sourire de manière énigmatique.

Maman Plancton restait interdite. Sans doute devenait-elle pragmatique avec l'âge. Ca devait la changer des collections odorantes, à moins qu'elle n'ait déjà quitté terre.

Le jour J arriva, le Day de Dad disait fièrement Dad Harry.

Il avait loué un costume flambant neuf, des chaussettes en fil des Pyrénées, des chaussures en peau de tigre de l'Amour.

En vérité, il était beau comme une sculpture de Camille Claudel, oubliée par Rodin.

Accompagné par son fidèle second, cousin Nenoeil, ils prirent l'autocar, pour se rendre vers leur Jérusalem céleste. Depuis bien longtemps, son permis lui avait été retiré, c'était pour le coup une mesure salutaire de santé publique.

Son olympe à lui étincelle de mille feux, mirage de ses envies. Une belle enseigne lumineuse indique le chemin à suivre et parallèlement la route inverse si certains veulent fuir l'arène.

Ils se dirigèrent tout d'abord vers les bandits manchots, histoire de se faire la main.

Les cerises et les pommes défilent, s'affolent mais point de jack pot.

Enthousiasmés par le bruit énergétique des pièces qui dégringolent, Dad Harry et Cousin Nenoeil se dirigent vers la roulette.

Changement de décor : un étrange silence étreint la grande pièce, les visages sont graves, la tension perle sur les visages gentiment couperosés. Dad Harry est quelque peu déstabilisé, la pression l'étreint.

Ses mains flageolent. Mais il s'accroche dans l'adversité, le bougre, convaincu qu'il est, de rentrer au foyer, riche à millions, reconnu et salué comme il se doit dans son foyer et sa contrée.

« Faites vos jeux ! Rien ne va plus ! » Annonce le croupier.

Une fois, deux fois, dix fois, vingt fois.

Papa essaiera de se refaire et de se refaire encore, bataillant comme un pauvre diable, robuste père courage, retrouvant une énergie et une volonté qu'il avait depuis longtemps égarées en chemin.

Personne ne ferma l'œil cette nuit-là, chacun en tête à tête avec sa solitude.

Maman Plancton était en partance pour les Caraïbes, vêtue d'or, telle la reine de Saba. Elle arrivait sur la plage, savant mélange de mère Courage et de mata Hari, et telle Dalida, elle revêtait son plus beau bikini pour s'élancer telle une naïade.

Mon petit frère posait le pied en Afrique, le chapeau d'Indiana vissé sur le crâne, avec pour fidèle compagnon, son tigrou favori. Il partait remonter le fleuve Zaïre et photographier des contrées jusqu'alors inexplorées.

Quant à moi, j'étais l'heureuse propriétaire du transsibérien. J'allais pouvoir voir défiler devant moi ces bouleaux à l'infini, dernière muraille avant la nature absolue et sauvage. Je pourrais faire et refaire ce voyage incroyable.

Luxe suprême : je pourrais même m'y embêter !



Article de presse :La disparition.

C'est la compagne de monsieur X qui a donné l'alerte ce dimanche matin à 10h.

Il est parti hier soir jouer au casino avec son cousin. Ils ne sont pas rentrés.

Le directeur de l'établissement dans lequel les deux hommes sont allés jouer a confirmé la présence des deux individus.

Ils semblaient quelque peu agités, sans doute ne sont-ils pas habitués de ce type d'établissement a ajouté le directeur.

Ils n'ont pas donné de signe de vie après leur passage au Casino.

Monsieur X n'a pas regagné son domicile familial.

Les pompiers-plongeurs du centre de secours explorent les rives de la rivière, l'un des derniers lieux où les deux hommes auraient été vu.

Sans résultats pour l'instant.

Quant aux policiers, ils poursuivent leurs investigations pour disparition inquiétante.

Pour autant, rien pour l'instant ne laisse présager d'une issue fatale.

Monsieur X a peut-être eu besoin de prendre l'air.

Toutepersonne ayant des informations susceptibles de faire progresser les recherchesest priée de s'adresser au journal qui transmettra aux autorités. 

Les fées n'existent pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant