⊱✿ Hadrien ✿⊰

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Nos incursions près du Château ont commencé quand j'ai été en âge de me déplacer seul sur une longue distance et de transporter une charge, aussi minime soit-elle. Pendant les années qui ont précédé la première tentative, ma mère m'a nourri de son lait et de racines, réchauffé au soleil ou entre ses bras, abrité sous des constructions de fortune qu'elle avait bâties de ses mains. Nous étions vêtus de haillons : après avoir utilisé mes langes, elle avait pris sur ses tissus pour me couvrir le mieux possible à mesure que je grandissais.

Le linge, suspendu entre deux arbres pour sécher, a donc été notre première rapine. Nous avons camouflé ce larcin en décrochant négligemment quelques pièces et en éparpillant d'autres dans l'herbe et sur les branches alentour, comme si le vent avait soufflé trop fort et secoué l'étendoir improvisé. Je me souviens avoir couru longtemps ensuite, serrant dans mes bras mon trésor, trois tuniques vertes dont ma mère allait enlever les boutons de nacre pour les transformer en t-shirt à peu près à ma taille. Elle avait emporté une nappe aussi bleue que l'océan et l'avait partagée en quatre pour nous confectionner des pagnes aux multiples usages.

Elle a hésité longtemps avant de prendre à nouveau le risque de s'approcher. La grande serre n'était pas encore bâtie, mais une cabane de fortune abritait des outils, des semences, des cordes, que nous avons grappillés sans laisser de traces. Nous nous sommes alors établis à moins d'une journée de marche, camouflés par un groupe d'arbres au sous-bois touffu, abreuvés par la source d'une eau cristalline jaillie de la grande montagne.

Notre proximité m'empêche de préparer un grand feu pour brûler la couverture, alors je l'emporte simplement loin de nous. Quand je reviens, Elina n'est plus accrochée à son sac, qu'elle a laissé éventré sur le sol. Je ne la trouve pas non plus à l'intérieur de l'habitation, cet endroit que je n'ai jamais pu appeler « maison ». J'entreprends de sortir tout ce qui peut être nettoyé, ce qui ne me prend pas longtemps car ma mère ne possède presque rien. Quelques ustensiles de cuisine, quelques vêtements, un balai. J'accroche les volets de fortune pour qu'ils cessent de craquer et, après avoir écouté la régularité des râles et des sifflements, j'emporte un premier paquet vers le bac de lavage que j'ai creusé entre les pierres du ruisseau, derrière la butte. C'est là que je la trouve, nue et agenouillée, en train de s'étriller vigoureusement. La vision de sa peau rougie par les frottements provoque une érection instantanée, que je camoufle tant bien que mal avec ce que je transporte quand elle lève les yeux vers moi. Je détourne immédiatement le regard et dépose les tissus et la petite bassine de plastique dans laquelle j'ai dangereusement entassé bols, assiettes et couverts. Je l'entends s'asperger à grande eau, mais déjà je repars chercher ce qu'il reste.

Je n'ai jamais autant serré les poings que depuis que j'ai croisé le chemin de cette fille. Après avoir souffert de ma solitude, toutes ces années, voilà que le destin m'envoie de la compagnie et que je me sens incapable de nouer le moindre contact. Sa simple vue me tord les tripes, mon pouls s'accélère quand je m'approche, et mon cerveau turbine à toute allure pour trouver une parole gracieuse à lui adresser.

Arrivé près de ma mère, je gratte en copeaux un savon dans un seau d'eau et, armé d'un chiffon propre et du balai, je prends le temps de nettoyer tant bien que mal l'intérieur de l'habitation, y compris les planches de bois de mon ancienne couche sur lesquelles je déplace ensuite ma mère, le temps d'arranger son lit.

Quand je retourne au ruisseau, Elina est toujours penchée au dessus de l'eau, mais couverte d'une tunique marron dont elle a retroussé les manches. Elle a noué ses cheveux en une longue tresse et termine de rincer un bol avant de le déposer avec le reste de la vaisselle sur une grande pierre plate derrière elle. Alors qu'elle hésite à attraper le ballot de linge abandonné sur le sol, elle s'aperçoit de ma présence et hausse les épaules, comme pour s'excuser :

* 9 *Où les histoires vivent. Découvrez maintenant