Chapitre 6

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Peu à peu, mes amis commencent à dévaler la pente pour la première fois de la saison. J'entends Elizabeth qui rit de plaisir. Ils ont tous l’air si gracieux et à l'aise, que cela me semble facile vu ainsi. Peut-être que je vais y arriver finalement. Il y a encore peu de skieurs autour de nous. Seule Charlie est restée à mes côtés et me regarde les sourcils froncés. Ses longs cheveux roux sont à moitié cachés par son bonnet vert au pompon noir.

- Tu es sûre que ça va aller ? s'inquiète-t-elle.

Il est temps de se poser la question. Je grimace.

- Je n'ai plus trop le choix maintenant… Reste derrière moi, je risque d’être un projectile dangereux.

Et avant d'avoir réfléchis, je m’élance. Au début, tout se passe pour le mieux et un sourire satisfait s’épanouit sur mes lèvres… Jusqu’à ce que je réalise où je suis et que je comprenne que je ne maîtrise absolument plus ma vitesse... Je commence à hurler en traversant la piste en diagonale. Sous le coup de la peur, j’oublie complètement d'appliquer la position que Charlie m'a enseignée la veille. Au lieu de ça, je me penche en arrière et perds d'avantage le contrôle de la situation. Derrière moi, j'entends Charlie qui me crie de freiner, en tentant de me poursuivre. Plus facile à dire qu’à faire.

Avec horreur, je prends conscience que je me rapproche dangereusement d'un pilonne de télésiège. Les skieurs autour de moi, m’évitent comme ils peuvent. Je suis un véritable danger publique. Le vent glacé cisaille ma peau et m’énerve d'autant plus. Avant de comprendre ce qu'il m'arrive, mon corps est projeté un avant et je suis aussi secouée qu’un cheval à bascule. Merci la bosse.

Je m’aperçois qu'un enfant, à peine âgé de quatre ans, descend doucement la pente en chasse neige, accompagné de ses parents. Il skie mieux que moi. Comme mon regard se pose sur lui, ma trajectoire dévie et je fonce dans sa direction. J'écarquille les yeux et mon cœur s’accélère.

- Aaaaaah ! Attentiooon !

Mon cri de désespoir alerte les parents qui s’empressent de protéger leur enfant. Mais il est trop tard. Dans un dernier élan, je me propulse sur le côté, afin d’éviter la collision. Je chute. Le contact avec la neige est brutal. Ma tête rebondit violemment après avoir percuté le sol glacé. Je continue de glisser, allongée et les yeux fermés. Au passage, mes bâtons ont disparu et un de mes skis également. J'ai l'impression de glisser pendant une éternité. Dernière moi, Charlie s'époumone pour qu'on me remarque.

Enfin, je ralentis car la pente s'applatit. Lorsque je suis à l’arrêt,  j'ouvre un œil, inquiète. Je vois des pieds partout autour de moi. Intriguée, je me relève, complètement endolorie. C'est avec soulagement que je comprends être au pied du télésiège. Elizabeth, Thomas et Matthieu qui nous attendaient accourent. Ils ont l'air paniqué. C'est Elizabeth qui explose la première. Je ne l'ai jamais vu perdre autant son calme.

- Mais t'es malade ! Pourquoi tu ne nous as pas dit que tu ne savais pas skier ? Tu aurais pu gravement te blesser et casser un bras à quelqu'un par la même occasion !

Je rentre ma tête dans mes épaules. Je suis coupable et n'ai absolument aucun argument pour mon plaidoyer. Élizabeth détourne son attention et fusille Charlie qui vient d'arriver, munie de mon matériel.

- Et toi ? s'indigne notre « gentille » blonde. Tu la laisse faire ?

- Pour ma défense, je lui avais indiquer les règles à suivre… proteste pitoyablement Charlie en faisant la moue.

Elizabeth secoue la tête, l’air de ne pas en croire ses oreilles. Finalement, elle soupire et vient m'aider à me mettre debout. Derrière elle, les garçons me regardent, muets.

- Tu as mal quelque part ?

- J'ai l'impression de m'être transformée en compote géante mais en dehors de ça, tout va bien.

- J’adore la compote ! se sent obligé de me préciser Thomas. Je te croque quand tu veux, bébé.

Si mes bâtons étaient restés dans mes mains, je lui en aurais planté un dans l'œil. Au lieu de ça, je me masse la nuque encore  douloureuse. Matthieu continue de me fixer calmement. Il semble réfléchir. Enfin, il déclare :

- Il serait peut-être préférable que tu prennes des cours particuliers, non ? Si tu skies comme ça pendant dix jours, un désastre va forcément arriver.

- Des cours particuliers ? je réplique en plissant le front. Mais je ne veux pas être toute seule pendant que vous vous éclatez tous les quatre…

- C'est l'histoire de quelques demi-journées. Il faut juste que tu acquiers les bases pour ne pas détester le ski.  Et puis l'un de nous n'a qu’à faire le cours avec toi.

- Ça ne me dérange pas, propose Charlie. De toute façon, mon niveau en ski n'a rien d'enviable. Je pourrais toujours m’améliorer. Mon truc c'est plutôt le Snow après tout.

Je tourne ma tête un à un vers mes amis.

- Je ne veux pas être un poids pour vous, mais tu es sûre de toi Charlie ?

Elle hoche vivement la tête sans hésiter. Matthieu a raison. J'ai besoin de leçons même si je le niais jusqu’à présent. Bien sûr, cela va représenter un nouveau coût dans mon budget, mais ça en vaut la peine. Une fois que j'aurais les bases, je prendrais beaucoup plus de plaisir et elles resteront à jamais. Seul Thomas semble perplexe. Visiblement, il ne veut pas que nous nous séparions en deux le temps de quelques heures. Son regard s’éclaire.

- Et si tu faisais du Snow ?

Ma tête part en arrière lorsque j'explose de rire.

- Je n'arrive même pas à tenir lorsque mes pieds sont séparés ! Il est hors de question qu’on mes les attache à une seule et même planche.

Matthieu qui est le sol en snowboard, sourit en direction de Thomas, l'air goguenard.

- Vu son sens de l’équilibre, on va éviter mon pote !

Ils s'esclaffent tous tandis que je me renfrogne. J'ai envie de manger du sucre pour me remonter le moral. Je finis par remettre mes skis à contrecœur. Nous avons décidé de passer la matinée sur des pistes plutôt plates, soit les vertes et quelques bleues faciles. Lorsque nous prendrons le chemin du retour, Charlie et moi nous arrêterons à l’ESF (École de Ski Française) pour prendre rendez-vous dès cet après-midi si possible. J’essaye de me convaincre que ça ne sera pas si terrible.

La queue pour le télésiège est impressionnante. Lorsque nous arrivons devant les machines détectant nos forfaits qui sont dans nos blousons, celles-ci bipent et passent au vert. Je suis tout sauf confiante. Le sol me va très bien. Je déglutis en essayant d'apercevoir l’arrivée de la remontée mécanique. Mon vertige n’arrange rien. Il y a six sièges par canapé, aussi, nous passons tous les cinq lorsque les barrières s'ouvrent. Je regarde les autres s’avancer et fais de même. Sexy ce déhanché boiteux pour arriver à la ligne d’arrêt.

Je ne cesse de jeter des coups d'œil en arrière. Le siège va nous percuter, je vais tomber. C’est obligé. Matthieu me conseille de plier les jambes, et je m’exécute immédiatement. Le télésiège finit par arriver et me frappe l’arrière des cuisses. Surprise, je m'affale à ma place. Avant que je ne comprenne ce qu'il m’arrive, la machine s’élève et prend de la vitesse. Je me crispe. Il n'y a rien pour nous empêcher de tomber ? Thomas abaisse la barrière de protection à ce moment là et je soupire de soulagement.

Cependant, intimidée par la hauteur, je me tasse au fond de mon siège. Mes skis pendent mollement dans le vide. Je remarque que mes amis les ont tous posés sur un appui et m’empresse de suivre leur exemple. Les gens en contrebas ressemblent à de petites figurines qu’on peut attraper du bout des doigts. Je n’ose même pas me retourner pour admirer le paysage, j’aurais bien trop peur de tomber. Je me colle contre Matthieu en écrasant fortement mes bâtons. Il rit.

- Tu ne tiens pas sur des skis et tu as le vertige. Qu’est-ce que tu fais avec nous à la montagne ? demande-t-il en tapotant avec amusement sur mon casque.

- Crois-moi, je me pose cette question depuis le début de la matinée.

La tête d’Elizabeth surgit tout à coup, juste derrière Matthieu qui est sur ma gauche. Elle vient de se pencher pour participer à la conversation.

- Inspire sur quatre temps, expire sur six. C’est une méthode de relaxation très utilisée.

Elizabeth a pour habitude de nous donner de petites astuces de temps en temps. Passionnée par le yoga, elle n’hésite pas à enseigner des techniques lorsque nous stressons. Bon, il faut avouer qu’aucun de nous n’a encore appliqué ses conseils, mais elle ne désespère pas de nous convertir un jour.

Souffle givréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant