Le temps était épouvantable. La pluie martelait notre tanière avec une telle violence que je craignais qu'elle ne s'effondre sur elle-même. Mes enchantements pouvaient empêcher l'eau de s'infiltrer à l'intérieur de la bâtisse, mais ils étaient d'aucune utilité face à l'humidité ambiante qui contaminait peu à peu le bois qui avait servi à sa construction.
– Elle est brûlante, sanglota Ode.
– Ça va aller, répondis-je dans un murmure. La potion sera bientôt prête.
Cela faisait presque deux mois que nous nous étions installées dans la région. En fuyant Carcasso et la menace que représentaient les Wisigoths, je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire de ma vie. Le destin avait alors placé la jeune Ode et sa fille Mélie sur ma route. Dès sa naissance, la petite Mélie avait inquiété son entourage en provoquant tout autour d'elle d'étranges phénomènes que nul ne pouvait expliquer. En seulement quatre années, ses pouvoirs s'étaient développées à un point tel qu'elle ne pouvait plus passer inaperçue au sein de son village. Pour la protéger des chasses aux sorcières toujours plus nombreuses, sa mère avait alors pris la décision de l'emmener avec elle en direction du nord, loin des regards, là où personne ne pourrait lui faire de mal.
Mais la nature pouvait se révéler aussi cruelle que les hommes. Depuis une semaine, Mélie souffrait d'une fièvre délirante qui s'aggravait de jour en jour, et mes maigres compétences en alchimie ne suffisaient pas à en venir à bout. Elle allait bientôt mourir ; ce n'était plus qu'une question de temps. Les potions d'apaisement que je lui donnais toutes les heures ne faisaient que retarder l'inévitable.
– Bois, ma chérie.
Avec une infinie douceur, je relevai la tête de la petite fille pour l'aider à ingérer le contenu de la fiole, puis déposai un baiser sur son front. J'entendis Ode étouffer un sanglot et sentis mon cœur se serrer douloureusement. Ses yeux étaient rougis par les larmes et je pouvais lire dans son regard toute la détresse qu'elle pouvait ressentir. Jamais je n'avais imaginé qu'une mère puisse à ce point aimer son enfant.
– Je vais prendre l'air, soufflai-je. Nos stocks de plantes sont épuisés.
Je sortis sans attendre de réponse. Cette nuit était sombre, hostile. Le vent soufflait avec violence, et la pluie incessante venait s'écraser sur ma peau comme pour me dissuader de faire un pas de plus. Mais en cet instant, rien ne pouvait me faire reculer. Dans le ciel menaçant, les nuages recouvraient une lune blafarde que je devinais déjà pleine.
J'accélérai le pas et amorçai lentement ma transformation. Mon visage s'allongea en un museau gracieux et je dus prendre appui sur mes mains pour ne pas perdre l'équilibre. Des pattes souples remplacèrent progressivement mes membres, et une fourrure d'un blanc immaculé recouvrit ma peau sombre. Mes cinq sens s'affinèrent et j'accueillis cette nouvelle métamorphose avec soulagement. Cette malédiction qui m'avait frappée alors que je n'étais qu'une enfant était désormais soumise à ma volonté. Plus que jamais, j'étais heureuse d'être une louve. Le temps d'une nuit, je pouvais m'autoriser à ne plus ressentir toutes ces émotions humaines qui me dévastaient.
Mais alors que je commençais à m'enivrer de cette douce liberté nouvelle, une puissante voix me ramena brutalement à la réalité.
– Glaciare !
Je bondis instinctivement sur le côté, et un projectile de glace vint s'écraser à l'endroit où je me trouvais une seconde plus tôt. Mes pensées se bousculaient dans mon esprit. Qui était cet homme ? Comment pouvait-il maîtriser la magie des éléments avec une telle aisance ? Et surtout, quelles étaient ses véritables intentions ?
Sans céder une seconde à la panique, je décidai de m'enfoncer plus profondément dans la forêt. Je connaissais bien les bois environnants et ses habitants, et aucun étranger – même avec des pouvoirs – ne pouvait espérer sortir indemne d'un tel affront.
– Où te caches-tu, petit loup ?
Je poursuivis ma course sans me retourner. Si ce chasseur était capable de suivre ma trace, j'allais devoir trouver un moyen de lui échapper au plus vite. Il m'était impossible de retrouver ma véritable apparence avant le lever du soleil. Même si je pouvais désormais contrôler ma forme animale, cette métamorphose restait une malédiction.
Heureusement, cet homme ne connaissait pas mon secret. Il pensait traquer une simple bête répondant à ses instincts les plus primaires. Cette erreur allait lui coûter la vie.
– Tu ne pourras pas aller bien loin, tu sais... Aucun loup n'échappe à Dagmar Mortarion.
Tapie dans l'ombre, j'attendis qu'il entre dans mon champ de vision pour lui sauter à la gorge. D'un geste vif, il leva son bras droit pour se protéger. Mes crocs acérés se refermèrent dans sa chair, lui arrachant une grimace de douleur. Le goût du sang me fit dangereusement tourner la tête, et je dus relâcher la pression de ma mâchoire pour reprendre mes esprits. Le chasseur en profita pour se libérer et chercha des yeux la baguette qu'il avait lâchée au sol. Une fois encore, je fus plus rapide que lui. Lorsqu'il voulut la récupérer, je me ruai sur lui tête baissée et le percutai de plein fouet. Le choc de l'impact le projeta contre l'arbre le plus proche dans un bruit sourd.
– Tu n'es pas un animal, gronda-t-il en crachant au sol. Tu es l'un de ces monstres...
Mes babines se retroussèrent, dévoilant une nouvelle fois mes crocs. Cet homme venait de découvrir ma véritable nature. Pour protéger mon secret, je n'avais pas d'autre choix que de me débarrasser de lui.
Mais j'hésitai une seconde de trop. Sans crier gare, il lança trois cailloux dans ma direction. Ces derniers s'immobilisèrent en plein vol et se mirent à luire d'une étrange lueur bleutée. Lorsque je compris le danger, il était déjà trop tard. Un éclair vint me percuter, et une sensation désagréable envahit mon corps. Je voulus fuir, mais il m'était impossible d'esquisser le moindre mouvement. Mes pattes refusaient de bouger.
Le chasseur se releva douloureusement sans me quitter du regard. Il affichait le sourire de celui qui avait gagné, et une lueur presque bestiale animait ses yeux vairons.
– Je ne vais pas te tuer tout de suite, murmura-t-il en ramassant sa baguette.
Je m'en voulais terriblement. Non loin d'ici, une mère était au chevet de sa petite fille. Cette dernière allait bientôt s'éteindre, et je ne pouvais plus rien y faire.
J'allais mourir ici. Seule, et humiliée.
– Je suis curieux de découvrir ce qui se cache derrière cette fourrure blanche, poursuivit le chasseur d'une voix menaçante.
La cruauté des hommes n'était plus à démontrer, mais je n'avais encore jamais connu d'être aussi méprisant que ce Dagmar Mortarion.
Cette dernière nuit promettait d'être affreusement longue.
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Cercle Magus : Les Fondateurs
ParanormalIls sont au nombre de quatre. Quatre sorciers aux pouvoirs incommensurables. Ils ne semblent rien avoir en commun, et pourtant... Ambitieux. Solidaire. Rusé. Enthousiaste. Voici leur histoire.