Les deux hommes sont toujours là, assis dans le sable : l'un en tailleur, l'autre les genoux repliés contre son torse. Le plus jeune se balance d'une jambe à l'autre, n'arrive pas à contenir son excitation. L'idée de discuter, de débattre, de donner son opinion à cet étranger maussade le rend euphorique. Son enjouement atteint peu à peu l'humeur mélancolique de son compagnon.
« Bon je sais ce que tu fais dans la vie mais à part ça, qu'est-ce que tu aimes ? » Demande le plus jeune, curieux.
L'adulte redresse la tête vers la mer, ses yeux surfent sur les flots. Il organise sa réponse dans sa tête, fait un point sur toutes ces choses qui rendent sa vie moins fade. Il tire un trait entre les choses qu'il est supposé aimer et ses passions.
« Dans ma vie, il y a deux catégories : les activités que je n'aime pas mais que je suis obligé de faire et celles que j'aime mais que je n'ai plus le temps de pratiquer. »
« C'est nul d'être riche et connu ... » Chuchote le jeune homme pour lui-même.
Le regard du plus vieux se pose sur le profil de son compagnon, ce dernier est en train d'inspecter un coquillage sous toutes ses formes. L'homme prend le temps de le contempler à son tour, un beau coquillage creux. Son reflet lui est frappant.
« Je suis comme ce coquillage, beau à l'extérieur, vide à l'intérieur. »
Le garçon détourne son regard pour le poser sur l'homme à ses côtés. Il retrace ses traits, les effleure de ses iris gelés puis repose son attention sur le coquillage. Il gratte de son pouce les quelques grains qui restaient dans la partie creuse. Sa main s'enfonce d'un coup dans le sable et en extirpe une poignée. Son action surprend le plus vieux qui ne dit cependant rien. Le sable blanc glisse de son poing serré et se loge dans le creux du coquillage. Une fois rempli, il finit par déborder. Le jeune passe alors sa main à plat et rétablit l'équilibre.
« Et voilà, tu n'es plus vide. »
Son regard se pose dans celui du plus âgé, ce dernier reste muet. Le geste du plus jeune, sa signification résonne en lui. Un agréable flottement s'immisce dans le creux de son estomac.
« Es-tu fou ? » Finit-il par lui demander.
« La folie se situe à des degrés différents, je suppose donc que oui. »
Les orbes de glace pétrifient le plus âgé, le temps semble s'arrêter autour de lui ou bien n'existe-t-il plus depuis longtemps ?
« Tu peux être heureux. » Chuchote le jeune homme châtain.
Un rire ironique échappe au plus vieux, ses prunelles se voilent d'une obscurité funèbre. Ses pensées noires tombent dans l'eau trouble, assombrissent la couleur de l'écume.
« L'homme passe sa vie à chercher le bonheur. »
« Certains le trouvent, d'autres non. »
« Tu te trompes, le bonheur est un idéal humain. Le bonheur est une fiction, personne n'arrive à l'atteindre. » Déclare le plus âgé.
« Bien sûr que si. Tu t'en prives juste, je te le rappelle au cas où ... » Dit-il avec un sourire en coin.
L'adulte secoue sa tête de droite à gauche, un soupir franchit ses lèvres. Il ne sait depuis combien de temps il a cessé de croire au bonheur. Les paroles du jeune homme lui paraissent pure folie.
« Je t'en prie, fais-moi part de ta réflexion. »
« L'homme peut être heureux, je pense que la seule personne qui peut entraver à notre bonheur est nous-même. Si on a décidé de voir le bon côté de la vie, elle n'en sera que plus belle. »
VOUS LISEZ
troubles de nuit
ContoDeux jeunes hommes tourmentés par la vie se retrouvent une nuit devant l'eau trouble. Malgré leur différence d'âge et leurs points de vue si éloignés, ils finissent par discuter des choses qui fondent leurs existences. [Histoire courte] Personne fer...