Chapitre 38 : Liberté

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Ethan venait souvent me voir, et je crois que je commençais à m'habituer à lui. Il était le seul qui ait fait preuve d'un minimum d'empathie envers moi. Je n'irais pas jusqu'à dire que je l'appréciais, mais disons qu'il était le seul dont je supportais la présence. Il ne passait pas son temps à me dire que j'avais réussi ma mission avec brio, et que désormais j'étais en parfaite sécurité. Pas comme les deux psys que David avaient envoyés avant que je ne les mette à la porte. J'avais aussi vite compris qu'il n'aimait pas cet endroit. D'après ce qu'il m'avait raconté, il était autrefois ingénieur. Ils étaient venus le voir à son travail, et il n'avait plus jamais revu sa famille depuis.

Je réappris à vivre à cette époque, et c'était plus difficile que ce que je m'étais imaginé. Ce n'étaient que des petits détails, comme par exemple le fait que j'avais du mal à supporter des jeans. J'avais également quelques séquelles de mon voyage. J'étais devenue très maladroite, j'avais comme un décalage entre mon cerveau et mes mouvements, comme si je n'avais pas pleinement récupéré toutes mes facultés. J'avais essayé d'en parler à Tommy, mais j'avais eu la vague impression que je le dérangeais plus qu'autre chose.

J'avais recommencé à reprendre mes repas avec les autres, et à chaque fois, les regards suivaient chacun de mes mouvements. Il m'avait fallu un moment pour comprendre que ce n'était pas de l'hostilité, mais un genre d'admiration. Ce qui n'avait aucun sens, pour moi. J'étais tout ce qu'il avait de plus ordinaire. A part peut-être le fait que mon cerveau était constitué d'une façon telle que j'étais la seule à pouvoir supporter les voyages dans le temps. Je n'avais pas reparlé de sortir d'ici, mais l'idée ne me quittait plus. Je voulais laisser tout ça derrière moi, prendre un nouveau départ. Mais ils semblent décidés à continuer à m'utiliser.

Les journées étaient très longues. Tommy commença alors à m'interroger sur tout ce qui avait pu se passer. Il me demandait surtout des détails sur les Marcheurs Blancs et sur l'Armée des Morts, mais à part le fait qu'ils étaient terrifiants, je n'avais pas grand chose d'autre à en dire. Il ne semblait pas passionné par mes histoires sur le Roi du Nord, alors que de base, il est était le but même de mon voyage. Et ça m'agaçait. Plus que ça, même. Il s'était sacrifié, très probablement par ma faute, et tout ça pour rien. David m'a avoué que le temps était légèrement moins rude désormais, mais ce n'était pas Jon qui avait changé beaucoup de choses. Ma mission avait donc été complètement inutile. Et le sacrifice de Jon aussi.

L'humeur plus maussade que jamais, j'étais entrain de jouer avec ma nourriture, dans mon assiette, quand Ethan débarqua et s'affala sur la chaise à côté de moi, comme si nous étions des vieux potes. Je le fusillai du regard, et il me répondit par un sourire goguenard, qui disparut rapidement pour prendre un air grave.

- Quoi ?

Il soupira, semblant réfléchir à quels mots employer.

- Je ne suis pas sensé en parler, mais... Je ne sais pas quand David compte le faire. Ils sont entrain de préparer une nouvelle... Expédition. Ils ont une nouvelle piste sur  la cause de tout ça. Cette fois-ci, il ne s'agirait pas de revenir aussi tôt en arrière. Ils pensent... Qu'il y a un moyen de convaincre les bonnes personnes d'agir directement au vingt-et-unième siècle, ce qui pourrait potentiellement tout changer.

Voyant que je ne réagissais pas, j'étais bien trop sous le choc pour le faire, il prit une profonde inspiration avant d'ajouter :

- David m'a collé Tommy sur le dos, afin d'améliorer l'expérience. Ton corps a subi des effets secondaires importants à ton réveil. C'est pourquoi... On pense avoir trouvé le moyen d'envoyer ton vrai corps directement là-bas. Nous travaillons sur un moyen de te faire revenir au bout d'un certain temps imparti.

Je le regardai enfin, n'en croyant pas mes oreilles. Il semblait ne pas savoir comment réagir, et je devais bien admettre que c'était aussi mon cas. Mes mains tremblaient sous la colère, et je dus me retenir de lui hurler dessus. Je me contins tellement que lorsque j'ouvrai la bouche, seul un murmure en sortit :

- Dis-moi que c'est une blague.

Gêné, il se tortilla sur sa chaise avant de reposer sa fourchette.

- Deux ans ! Deux ans que je me traîne dans ce trou à rat ! Ils m'ont promis ma liberté si je les aidais !

- Je sais. Ce n'est pas moi qui...

- Il est hors de question que j'y aille. Ma mission est terminée. Tu m'entends ?! Jon est mort pour rien, JE suis morte pour RIEN, et il veut que je remette ça ?!

Les gens autour de moi commencèrent à s'agiter. Tous les regards étaient braqués sur moi, ce qui me mit encore plus en rogne. De rage, je balançai mon plateau contre le mur, et en fit de même avec celui de Ethan, qui n'avait toujours pas bougé.

Avant de faire encore quelque chose que je pouvais regretter, je décidai de me rendre dans ma "chambre", où je laissai éclater ma rage en démolissant les quelques meubles qui y étaient. Après ça, il ne me resta plus que le chagrin, qui m'envahit avec des sanglots incontrôlables. Je pris alors soudain conscience que c'était leur plan depuis le départ. Je mourrais ici, ça ne faisait désormais aucun doute. Je ne reverrais jamais ma famille, je ne reverrais jamais mes élèves, ni même la lumière du jour. Je ne reverrais jamais Jon Snow. Tout était terminé. Ils m'utiliseraient jusqu'à ce qu'il trouvent un moyen de changer ce climat, mais ils refuseraient de voir qu'il n'y en avaient pas. Revenir dans le passé ne nous sauvera pas.

Mais cela voulait-il dire que je devais céder pour autant ? Les laisser utiliser mon corps sans rien dire, pendant qu'ils agitaient une carotte sous mon nez, qui n'avait de cesse de s'éloigner ? C'était hors de question. Je m'étais promis de me battre quoi qu'il m'en coûte, et je devais tenir parole. Je me relevai, essuyai mes yeux, tachant de rassembler mes idées. Quelques jours plus tôt, j'avais profité de l'absence de David pour m'engouffrer dans son bureau. C'était le seul endroit où je pouvais trouver une carte du complexe. Et j'avais vite compris que toutes les sorties étaient étroitement gardées. J'avais également déambulé du côté de la buanderie, seul endroit où je pensais avoir une chance de me barrer d'ici. Mais là encore, la sortie était gardée. Je n'avais donc aucun moyen de m'enfuir d'ici. 

Utiliser une des machines pour revenir à l'époque où j'étais arrivée, afin de m'enfuir avant d'arriver, n'était pas envisageable. Trifouiller avec le temps pouvait avoir de lourdes conséquences, et je n'étais pas désespérée au point d'entraîner la fin du monde. Sans compter que je n'avais aucune connaissance dans l'utilisation de ces machines, si bien que je me ferais avoir bien avant d'essayer. Non, dans tous les cas, je n'avais aucune chance de retrouver ma vie d'avant, elle ne m'appartenait plus. C'est alors qu'une idée s'imposa à moi. J'avais une dernière chance de pouvoir échapper à cet endroit.

Je frappais comme une malade, mais Ethan n'ouvrait toujours pas la porte. Bordel, qu'est-ce qu'il fabriquait ? Notre "conversation" dans la cafétéria avait eu lieu plusieurs heures auparavant, il était donc forcément ici... Alors que je tambourinai de nouveau, il surgit alors derrière moi, et je me jetai presque sur lui :

- J'ai besoin de ton aide !

- Tu vas d'abord commencer par te calmer, soupira-t-il. Entre.

- C'est toi qui gère les machines, pas vrai ? j'attaquai directement.

- Oui, avec Tommy. Mais je ne vois pas...

- Et tu m'as dit qu'ils ont amélioré le truc pour envoyer tout son corps directement là-bas, pas vrai ?

- Oui... Je ne comprends pas vraiment où tu veux en venir...

Je lui attrapai les poignets, le forçant à me regarder droit dans les yeux.

 - Il est hors de question que je retourne ailleurs. Si je dois crever ici, je veux pouvoir choisir quand et comment. (Son regard semblait toujours aussi perdu, alors je lui assénai le coup de grâce, le sourire aux lèvres) : Je veux que tu me renvoies là-bas.

Entre deux mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant