Notre rencontre

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1 Avril 1987. 3 mois plus tôt...

« Salut frérot ! Me voilà déjà rentrée ! s'écrie-t-elle avec sa voix haut perchée.

- Euh... Salut Karen. Tu... Tu n'as plus cours de la semaine ? bégayé-je en voyant la personne à ses côtés.

- Si, mais on est à l'Université maintenant. Donc on fait ce qu'on veut, dit-elle, en lançant un regard de complicité à son amie. Tiens, je te présente Elizabeth, ma meilleure amie. Liz, mon frérot, Matty.

- Karen ! Arrête de me donner ce surnom débile ! On n'a plus 10 ans » dis-je gêné.

Puis, elles se sont mises à rire, ensemble. Même si parfois – souvent, elle m'énerve. Je suis heureux de voir ma sœur si joyeuse dans sa nouvelle vie.

« Bon, je monte me doucher et après on pourra partir, Liz. Je vous laisse vous raconter vos vies. Parlez de Michael Jackson, vous êtes tous les deux des grands fans ! » crie Karen déjà arrivée à l'étage.

Et c'est là que je me suis retrouvé seul avec « Madame top-modèle ». Ne sachant trop quoi dire, ni quoi faire, j'ai maladroitement proposé :

« Ça te dit une tartine de confiture ?

- Oh oui, merci Matt. Je meurs de faim en plus. Ta sœur est une vraie pile électrique, elle n'arrête jamais et, pourtant, je ne la vois jamais manger. Je ne sais pas à quoi elle carbure, mais il faudrait qu'elle me donne son secret... Oh, mais je suis sur que ce sont ces super-tartines ! dit-elle tout sourire.

- C'est ça » dis-je la bouche pleine tout en laissant échapper un rire léger.

Cette situation est totalement improbable. Je suis en train de partager mon petit-déjeuner avec cette femme sublime, de rire avec elle. J'étais pourtant si mal à l'aise quelques minutes auparavant. En fait, je crois qu'elle n'est pas comme toutes ces filles qui se savent magnifiques : elle, on dirait qu'elle est comme tout le monde, qu'elle ne se sent pas supérieure.

Et, à cet instant, je prends conscience que, contrairement avec les autres filles, je suis en train de tomber amoureux. Est-ce possible d'aimer quelqu'un sans véritablement le connaître ? Peut-on tomber amoureux d'un sourire ?

« Alors comme ça, toi aussi tu es fan du King of Pop ? » me dit soudainement Elizabeth, des étoiles dans les yeux.

- En même temps, comment ne pas l'être ? L'album Thriller est juste incroyable ! Comment c'est possible de faire ça aujourd'hui ? Il réinvente tout ce qu'il touche, c'est impressionnant ! débité-je, à présent que l'on parle de mon idole.

- C'est peut-être un extra-terrestre ? se questionne-t-elle en riant, toujours.

- Non, vraiment, c'est un génie !

- Je ne te le fais pas dire ! Je me rappelle encore du jour où j'ai vu le clip de Thriller pour la première fois. J'avais 15 ans. C'était un vendredi ! Ça faisait une semaine que je ne bougeais pas de mon lit à cause d'une grippe. J'avais beau être super mal, j'arrivais quand-même à me réjouir d'avoir raté le cours du sport du matin pour voir ce clip, dit-elle, vaguement nostalgique.

- J'étais encore un bébé, dis-je pour remplir l'éventuel silence à venir.

- D'ailleurs, tu as quel âge, Matt ? s'intéresse Elizabeth.

- J'ai 16 ans et demi. J'avais 12 ans en 83.

- Oh, mais tu n'es pas si jeune que ça. Ça ne nous fait que trois ans d'écart, finalement.

- Et alors, comment c'était ce premier visionnage du clip ? lui demandé-je en occultant sa remarque sur notre différence d'âge.

- C'était génial ! On avait l'habitude de voir des clips assez simples. On les trouvait cools, pourtant, mais ils paraissent tous tellement fades à côté de celui-ci !

- En plus, tu es en École d'Art, donc tu as cet œil artistique, dis-je pour qu'elle me parle un peu plus d'elle.

- Oui, enfin, à l'époque, je ne savais absolument pas ce que je voulais faire plus tard, alors encore moins dans quelle Université j'irai. Je ne savais même pas ce que j'aimais...

- Ah si, tu aimais Michael Jackson ! l'interromps-je.

- Oui, tu as raison, dit-elle en souriant. Il est bien la seule chose que j'ai aimée pendant mon adolescence. D'ailleurs, il est bien le seul homme qui avait une place dans mon cœur » me confie-t-elle si rapidement que j'en serai presque mal à l'aise.

Qu'est-ce que l'on est censé répondre à une femme qui sous-entend qu'elle n'a jamais connu l'amour alors que c'est précisément ce qu'elle mérite ? Qu'est-ce qu'on doit dire lorsque l'on est face à une femme qui se dévoile quelque peu, aussi subitement ? Qu'est-ce qu'elle attend de moi ? Suis-je censé lui demander de préciser ou faire comme si je n'avais rien entendu ?

« Tu avais vu l'émission des Grammy Awards l'année dernière ? me surpris-je à répondre. J'ai donc choisi la deuxième option, faire comme si de rien n'était.

- Oui ! me répond t-elle précipitamment. Quelle question ! « The song of the year is... We are the world ».

- Et je me souviens de Michael Jackson, gêné au moment de...

- ...oui ! me coupe t-elle. Au moment où il est monté sur scène ! Il affichait son plus beau sourire, tout en faisant signe à Lionel Richie de prendre la parole en premier. Puis, je me rappelle de ses yeux brillants quand il s'est approché du micro pour dire quelques mots. Il avait un regard rempli d'émotion, de reconnaissance envers le public, de fierté d'en être arrivé là. 

- J'ai fini Liz ! On peut y aller ! » crie Karen en descendant précipitamment les escaliers.

Je n'ai jamais vu ma sœur dans une telle tenue. Elle a l'air si mature, si responsable d'un coup. Ça ne lui ressemble tellement pas, même si ça lui va bien.

« Vous faites quoi cette après-midi ? demandé-je pour savoir où irait mon coup de foudre une fois qu'elle aura quitté cette maison.

- Cette aprem, on reste chez Liz. Mais ce soir, on va à une grosse fête, on va bien s'amuser ! s'excite Karen.

- Oui, enfin, c'est surtout toi qui vas t'amuser, rétorque Elizabeth en me lançant un regard complice.

- Eh ! Ne fais pas ta vieille mamie ! On a 19 ans, il faut qu'on profite de notre jeunesse pendant qu'il est encore temps, lui répond ma sœur.

- Je te reconnais bien là, Karen, dis-je avec une once de désolation dans ma voix.

- Tiens, Matt, ça te dirait de venir nous rejoindre ce soir ? Ça sera peut-être moins ennuyant si tu es là, on ne connaît aucun des invités, me lance soudainement Elizabeth.

- Euh... je... je ne veux pas... enfin, je ne sais pas si... Oui, je veux bien. Karen, tu...

- Non frérot, ça ne me dérange pas ! Arrête de paniquer pour rien, t'es chiant. Viens pour 19h chez Liz, on pourra partir ensemble, suggère ma sœur, toujours avec autant de délicatesse.

- Est-ce que tu as une feuille et un stylo pour que je t'écrive mon adresse ? me demande aussitôt Elizabeth.

- Tiens, sers-toi. Dans le premier tiroir juste derrière toi » répond ma sœur avant même que je puisse le faire. Karen attrape son sac avant d'ouvrir la porte d'entrée et de presser Liz.

Voilà. Je me retrouve avec l'adresse d'Elizabeth inscrite sur un petit bout de papier. Bout de papier qui, à présent, a une valeur extraordinaire. Je prends conscience que, dans quelques heures, je serai chez elle, là où elle vit, et j'entrerai un peu plus dans son intimité. 


En attendant, je vis [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant