depuis le début, tu étais là

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musique accompagnatrice ⬆

Des larmes s'échappent de mes yeux. Je ne peux pas les retenir. C'est comme si mon âme se décousait. Mes jambes lâchent et je tombe à genoux. Malheureux, faible et dépourvu de toutes lueurs de joie, voilà ce que je suis depuis que tu es partie.

Mes mains tremblent d'une violence inexplicable. J'aurais aimé crier, hurler à m'en briser la voix, à m'en épuiser le souffle. Tu me hantes, tu es partout, et cela depuis toujours.

Et cette photo. Cette simple photo qui était dans ce tiroir. Je suis à deux doigts de la déchirer en mille morceaux comme mon coeur lui-même en est déchiré. Mais j'ai peur de regretter mon geste. J'ai peur de ce que je vais devenir après ça. Je sombre dans la déchéance et tu n'es pas là pour me tendre ta main. Tu es déjà trop loin.

Je suis seule face à moi-même, face à mes propres démons et face à cette photo.

Ma vue est brouillée mais cela n'a pas d'importance. Je connais cette photo. Il me suffit juste de fermer les yeux et je la visualise d'une telle précision.

C'est sombre. Je reconnais la pièce. C'est ce bureau. Mais le décor n'est pas le même. Les meubles sont anciens. Cette vétusté émane un côté chaleureux. Seuls les rayons du soleil sont sources de lumière dans cette pièce. Et tel un projecteur, cette lumière éclaire une petite fille, sage, innocente, douce. De ses longs cheveux blonds remontés en chignon, elle dévoile ses oreilles un peu décollées. Son regard baissé, elle est concentrée. Elle dessine. Elle dessine un arbre, un oiseau, de la verdure... Elle dessine la vie. Elle semble réfléchir. Réfléchir à quoi ? A ce qui pourrait rendre son dessin meilleur ? Elle était jeune, à peine dix ans. Et tu vois, tous ses traits délicats dessinant son visage d'enfant, elle te ressemblait. Elle était ton reflet. Et ça, aussi dingue que ça puisse paraître, je sais que je n'inventais rien.

Elle te ressemblait. Elle était exactement comme toi. Alors, j'ai eu cet espoir, en moi, qu'il me restait quelque chose de toi. Que grâce à cette photographie, le temps ne parviendrait pas à me faire oublier ton visage.

J'ai retourné la photo, et tu sais ce qu'il y avait d'écrit ? En noir, bien visiblement, d'une écriture parfaitement soignée.

Suzie Bender. 1933 - 1942 .

Elle a vécu avant moi. Avant toi. Durant la Seconde Guerre Mondiale. Elle a vécu peu de temps. Elle n'a pas eu le temps de vivre pleinement la vie qu'elle rêvait. Et pourtant, elle gardait espoir. Cette photo en est la plus belle preuve.

Elle est partie du jour au lendemain. Comme toi.

J'ai trouvé cette photo quand nous avions emménagé ici, Flora et moi, en 1980. Tu n'imagines sûrement pas la réaction que j'ai eu en trouvant ce petit bout de souvenir oublié. C'est peut-être pour ça que j'ai l'impression  de te voir partout ; cette maison cache une multitude de secret.

J'entends le vent qui se lève. C'est la pleine lune, le ciel est dégagé. C'est une belle nuit d'été pleine de promesse.

Je me tourne vers la fenêtre. Le paysage est plongé dans un noir profond. Et petit à petit, un reflet se forme.

C'est le tien. Tu souris. Ton regard est tendre. Je cligne des yeux. Et tu as disparue. Comme à chaque fois. Tu es éphémère.

Voilà vingt-trois ans que tu es partie. Où ? Pourquoi ?

Suzie n'a laissé derrière elle qu'une photo.

Et toi, alors ?

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