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     mardi, 01 novembre 2016, 07h43_

   Je suis allongé sur mon gigantesque lit, les yeux fermés. Je suis entièrement propre, mais je n'ai pas pris le temps de me coiffer. J'ai enfilé un survêt Adidas, mon plus beau Calvin Klein, et un vieux polo Ralph Lauren.

   J'ai toujours pas dormi, mais j'ai l'estomac plein. Cassiopée dort profondément, elle, la tête posée sur mon ventre. Tomma est recroquevillé un peu plus loin, endormi lui aussi. On est propre, en vie, enfin au calme et on ne pense plus à rien.

   On est plus que trois, sur huit à la base, à avoir échappé à ces putain clowns tueurs. D'où ils sortaient, pourquoi ils étaient là ? On n'en sait rien, et on ne saura jamais. L'un d'entre eux est mort, et personne ne viendra à son enterrement, un autre s'est pendu en prison, et le dernier attend son heure dans sa cellule miteuse.

   Ça me soulage, de savoir que tout ça c'est fini, que je suis tranquille dans ma villa à attendre simplement le retour de mes parents, qu'il ne peut plus rien m'arriver de pire dans la vie, et que je suis VIVANT !

   Bien sûr, je pense à Hugo, Ferd, Julio, Jess et Anselme, et je penserai à eux jusqu'à ce que les flics les retrouvent, mais je sais bien qu'ils devaient être dans le même état que le nôtre hier soir et tôt ce matin, ils n'ont sûrement toujours pas mangé... Je n'aime pas penser ça mais leurs chances de survie ne sont pas incroyables... Et c'est en grande partie à cause de moi. La culpabilité m'écrase, je me demande pourquoi c'est pas moi qui suis mort à leur place.

   Je compte bien changer mes habitudes de sale bourge, je me suis rendu compte que je ne plairai jamais à Cassiopée grâce à mes euros. Et je me suis senti tellement lâche, faible, terrifié et perdu hier soir... Je crois que mon ego a pris un sale coup dans la tronche.

   On est marqué à vie, tous, mais on s'est retrouvé, à trois. Le point positif, c'est qu'il n'y a rien de pire qui pourra nous arriver dans la vie, c'est sûr. Enfin, sauf si ma famille meurt dans une explosion nucléaire sur une île paumée au milieu d'une mer sauvage infestée de requins, mais bon...

   Il reste des tas de bonnes nouvelles, qui vont me permettre, à moi et aux autres, de repartir l'esprit libre. Putain, je me sens intelligent c'est fou !

   Pour vous tenir au courant, Barthélémy sort avec Brigitte, je suis vacciné à vie contre les fêtes d'Halloween, la villa est intacte, Tomma est mon meilleur pote et je l'aime plus que tout (euh, on est d'accord, c'est de l'amitié, hein !), tout espoir de retrouver mes potes n'est pas perdu, la vie continue, et surtout surtout : mes parents sont fiers de moi et m'aiment de tout leur cœur (ben ouais, je les ai pas tenus au courant des événements, j'suis pas totalement con...).

     mardi, 01 novembre 2016, 13h22_

   Je sais pas quelle heure il est, mais il faitjour, il fait chaud. Je viens de me réveiller. Cassiopée est sûrement déjà levée, car elle n'est plus là. Tomma non plus, d'ailleurs.

   Je m'étire en bâillant. Putain, mais qu'est-ce que c'est bon de reprendre sa petite vie normale... D'être vivant...

   Je me frotte les yeux, me lève, et marche jusqu'à mon balcon.Ça ressemble plus à une terrasse personnelle, en fait, mais bon, peu importe. Je remarque que la baie vitrée est ouverte. Il fait super chaud pour un mois de novembre, et Cassiopée et Tomma profitent déjà de ma piscine couverte comme des gamins.

   Je m'avance sur la terrasse en bois qui surplombe ma piscine couverte et celle non couverte, mon jacuzzi et le coin transats et tables basses. En regardant au loin, je vois le centre-ville, plein de vie, et un peu plus loin encore, j'aperçois la ruelle dans laquelle on s'est fait piéger par Rouge...

   Même si on fait tout pour oublier, c'est impossible, cette putain d'histoire folle restera toujours quelque part dans nos têtes. C'est comme ça, on n'y peut rien.

   Je m'assois sur mon lit, en pensant au pendentif de Cassiopée tombé et perdu dans cette même ruelle. Tomma n'a pas encore les esprits assez clairs pour que je lui en parle, mais elle a dû s'en rendre compte.

   Cassiopée vient justement me rejoindre, enroulée dans une serviette-éponge trempée, s'installe à côté de moi.

   Je sais pas si je dois lui dire qu'elle a perdu son pendentif, que c'est Rouge qui le lui avait volé. Je sais pas si je dois lui dire qu'elle sait bien faire semblant d'avoir tout oublié en s'amusant dans ma piscine. Je sais pas si je dois lui dire que cette histoire de clowns m'a tellement perturbé que j'en suis devenu coulrophobe. Je sais pas si je dois lui dire que je suis pas un héros, que le mec populaire qu'elle voit au lycée c'est pas moi. C'est plus moi. J'ai changé en une soirée, et je sais pas si je pourrai lui plaire.

   Mais elle me regarde de ses yeux... Ses yeux... Ses putain d'yeux... Je m'y noie, je m'y cherche, je m'y perds, mais je ne veux pas m'en échapper. Je me mets à trembler, j'ouvre la bouche sans réussir à sortir un son.

   Elle sourit tristement. Elle essorre ses cheveux, se lève. Elle me dit quelque chose, comme "Bon, si tu n'as rien à dire, je vais rejoindre mon frère...", mais je reste aspiré par ses pupilles dilatées.

   Et je me rends compte que je vais tout perdre si je ne me bouge pas maintenant. Je me tire péniblement du siphon qui me piège et me retient prisonnier, la retiens par le poignet.

   Je lui dis de rester, que j'ai quelque chose à lui dire. Un truc important. Les filles adorent les "trucs importants" que les mecs leur racontent, rien qu'à elles.

   Elle se retourne vers moi, laisse tomber sa serviette à ses pieds. Elle se penche lentement. Mon cœur explose. Comme lorsqu'on était seuls sur le muret, sur la place publique avant que... Non, je n'y penserai plus. Je m'avance à mon tour, nos mentons se touchent. Je souffle un truc presque inaudible, "Je te rachèterai un pendentif à tête de loup exactement pareil", et elle pose un doigt sur sa bouche. Je me tais.

  Puis, dans une symphonie merveilleuse d'émotions et de pensées éclair, elle dépose un long baiser passionné sur mes lèvres tremblantes.

CoulrophobeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant